70 Défilés -Mode des seventies

L'âge d'Or de la mode vu par
Jean-Luce Huré

La mode, bien avant les financiers

Voici un livre qui, à peine feuilleté, réveille une irrésistible envie de revisiter l’évolution des défilés au fil des décennies.
Cet ouvrage sensible, comme un battement de cœur photographique, est dédié à cette planète singulière qu’est la mode. On le doit à Jean-Luce Huré, silhouette longiligne et immédiatement reconnaissable, qui arpentait les coulisses comme les premiers rangs avec la même discrète élégance. Il capture un monde disparu, celui que « les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître », pour reprendre Aznavour, un monde où l’on riait beaucoup — malgré le travail titanesque et la tension extrême qui précèdent tout défilé.

Les top models, ambassadrices de cette créativité débordante

Huré fut l’œil tendre et implacable d’une époque où les financiers n’avaient pas encore pris le contrôle du calendrier des collections, où les téléphones portables ne formaient pas une forêt lumineuse entre le podium et les invités. Les stars n’étaient pas encore payées pour s’asseoir au premier rang, et les stylistes n’étaient pas interchangeables : ils étaient les auteurs, presque les poètes, de leur propre maison. Yves Saint Laurent en tête. Karl Lagerfeld, alors électron libre, passait de Chloé à d’autres maisons avec une grâce déconcertante.

Sur les podiums, les vêtements prenaient vie grâce aux icônes d’alors : Pat Cleveland, Jerry Hall, Suzy Dyson, Grace Jones avant les scènes et les spotlights, Inès de la Fressange, Gisela Koester et ses jambes interminables, la délicate Sayoko Yamaguchi, ou encore Gunilla Lindblad, future fondatrice de la mythique boutique Upla des Halles.
Ces muses acceptaient parfois de défiler ou de poser gratuitement pour les jeunes marques, en échange d’une robe, d’une veste, d’un rêve. Une époque où la solidarité créative n’avait rien d’un mythe.

Quand l’attention se portait sur les vêtements, et non sur le décor

Point de décors grandioses à plusieurs milliers d’euros. Le regard, alors, se concentrait sur l’essentiel : les coupes, les matières, les constructions. Le public savait reconnaître un tweed, sentir une gabardine. L’attitude des mannequins faisait partie de la narration : naturelle et solaire chez Courrèges, Kenzo ou Sonia Rykiel, Dorothée Bis ; espiègle chez Chantal Thomass ; presque chorégraphique chez Issey Miyake ou Jean-Charles de Castelbajac.
Et puis, il y avait les silhouettes sculpturales de Claude Montana, Thierry Mugler ou Kansai Yamamoto — l’homme qui habilla Bowie de son aura androgyne.

Les maisons disparues et la créatrice que l’histoire a oubliée

Certaines griffes se sont effacées du panorama contemporain : Daniel Hechter, Lison Bonfils, Emmanuelle Khanh, Cacharel… Huré ne raconte pas France Andrevie, la Belge prodigieuse saluée par le New York Times, disparue à 34 ans, dont la mode reste pourtant gravée dans les mémoires de ceux qui l’ont vue naître.
On croise aussi les créations gitanes de Jean Bouquin, et sa boutique de Saint-Germain devenue repaire de Brigitte Bardot, l’icône suprême du cinéma français.

Le Palace : la nuit comme terrain de jeu

Tous partageaient un même goût : celui de la fête. Ils se retrouvaient au mythique club Le Palace, royaume incandescent de Fabrice Eamer, où stars, mannequins, stylistes et anonymes flamboyants se mêlaient dans un ballet de libertés et d’excentricités. Les physionomistes – La belle punk lyonnaise, Edwige Belmore, Paquita Paquin et la drôlissime Jenny Bel’Air — régnaient sur cet univers.
Les bals costumés, extravagants et inoubliables, attiraient Huré, qui s’y glissait tel un spectateur invisible pour immortaliser cette faune joyeuse. Betty Catroux, muse éternelle de Saint Laurent, résume l’esprit de ces nuits étourdissantes :
« C’était la fête toutes les nuits. Ne faire que des choses amusantes. Coquines. Boire. Des excès. Que des choses que les gens ne font plus. Ne vivre que pour s’amuser. »

Mémoire d’une époque

Jean-Luce Huré nous propose ici, grâce à son talent et ses photographies, un magnifique retour dans le temps. Une plongée ludique dans une époque festive qui nous met du baume au cœur. C’est beau et émouvant.

Jean-Luce Huré, né le 5 février 1942 à Paris est un photographe français, travaillant pour la presse écrite française et étrangère, et principalement pour la presse américaine et pour des titres tous plus prestigieux les uns que les autres. Il est une figure emblématique de ce milieu si particulier, qui fait toujours rêver.

Sylvie DI MEO

Défilés 70 Mode seventies – de Jean-Luce Huré – Éditions Larousse – 255 pages – 39,95 € – editions-larousse.fr