W<-A FETISH FOR BEAUTY -1997
Quand la mode était une fête!
Une image anxiogène mais d'une beauté spectaculaire
Walter Van Beirendonck signe dans les années 1990 l’une des aventures les plus audacieuses de la mode contemporaine. Sous cet acronyme radical, WLT, qui signifie Wild and Lethal Trash (sauvage et déchet mortel), incarne une vision libre, engagée et provocatrice du vêtement : une mode comme manifeste, à la fois pop, politique et profondément humaine.
Né en Belgique en 1957, Walter Van Beirendonck se forme à la prestigieuse Royal Academy of Fine Arts d’Anvers. Il fait partie du mythique groupe des Six d’Anvers, aux côtés de Dirk Van Saene, Dries Van Noten, Dirk Bikkembergs, Ann Demeulemeester et Marina Yee. Ensemble, ils redéfinissent la silhouette, le langage et l’attitude de la mode européenne à partir des années 1980.
Très vite, Van Beirendonck s’impose par un style immédiatement reconnaissable : couleurs saturées, sexualité assumée, message politique, humour et irrévérence, le tout porté par une créativité débordante. Ses collections portent des titres comme des slogans ou des poèmes conceptuels – Lust Never Sleeps (le Désir ne meurt jamais), Shut Your Eyes to See (Ferme les yeux pour voir), Silent Secrets (Secrets Silencieux), Explicit Beauty (Beauté Explicite) – et interrogent sans cesse le corps, l’identité, le désir et la société.
Après des retards devenus légendaires lors de ses défilés – dignes d’un concert de Mylène Farmer – le créateur voit pourtant son aura intacte. Il habille une constellation de figures iconiques : Bono, Mika, John Waters, Stromae, Kanye West, sans oublier les acteurs de la série Glee. Mais chez lui, la célébrité n’éclipse jamais le propos.
A Fetish for Beauty : le défilé qui a marqué l’histoire
Walter Van Beirendonck présente ses défilés à Paris, certains sont devenus mythiques. L’un d’eux reste pourtant gravé dans la mémoire collective de la mode : A Fetish for Beauty (un Fétichisme pour la Beauté), collection Printemps-Été 1998, présentée le 5 juillet 1997.
Soutenu par le groupe allemand Mustang, le show se tient hors de Paris, dans un immense hangar transformé en arène spectaculaire. Des gradins accueillent près de 3 000 spectateurs. Plus qu’un défilé, c’est un spectacle grandiose, orchestré avec une précision millimétrée. Dès les premières notes de musique, le silence se fait. Même le public blasé de cet univers est captivé. Walter Van Beirendonck réussit l’exploit de tenir en haleine toute la planète mode.
Un public conquis, une piste en feu
La piste devient le théâtre d’une chorégraphie country : une centaine de jeunes hommes, pour la plupart recrutés dans les rues de Belgique et acheminés à Paris par bus, dansent en cadence avant de quitter la scène par petits groupes.
Deuxième tableau : sur fond de hard rock, des mannequins, hommes et femmes, au visage maquillé de noir avancent, prennent la pose, accroupis dans des cercles de lumière rouge. La foule exulte : elle applaudit, siffle, crie, emportée par l’énergie brute du moment.
Quatre tableaux, entre poésie et inquiétude
Sur Fingerbib d’Aphex Twin, les silhouettes apparaissent tout de blanc vêtues, perchées sur des échasses. Le visage est masqué par un voile perlé, les femmes portent des perruques rouges. L’effet est saisissant, presque féérique. Les codes de la mode explosent les uns après les autres : c’est un happening glorieux, radical et délicieusement dérangeant.
Le point culminant, car oui, il s’agit bien d’un spectacle, survient avec l’apparition de couples hommes-femmes. Tous portent des masques à gaz évoquant la Seconde Guerre mondiale, mais suggérant surtout l’asphyxie de la planète. Les femmes arborent de longs gants en caoutchouc vert, prolongés d’ailerons, comme les signes d’une mutation génétique à venir. L’image est anxiogène, mais d’une beauté spectaculaire.
La mode en état de grâce
Ici, l’argent n’est pas au premier rang. Ce sont les idées, l’émotion et le collectif qui dominent. Pour le final, tous les participants, et ils sont nombreux, rejoignent le créateur sur scène. Acclamé. La musique reprend. Tous se mettent à danser. Le public lui-même envahit l’espace.
Si Ernest Hemingway écrivait que Paris est une fête, Walter Van Beirendonck, lui, le prouve, avec éclat, audace et générosité.
Sylvie di MEO
A Fetish of Beauty – À voir et revoir – waltervanbeirendonck.com