Alexander Mcqueen
L'alchimiste de l'excés et du sublime

Donnez-moi du temps, je vous donnerai une révolution

CRÉATEUR INCANDESCENT ET GÉNIE TOURMENTÉ
Alexander McQueen, figure aussi incandescente que tourmentée, s’est imposé comme l’un des esprits les plus visionnaires de la mode contemporaine. À la croisée de l’audace esthétique et du vertige existentiel, le créateur britannique a redéfini les codes, bousculé les normes et habité la scène mode comme un génie rebelle. Son ascension fulgurante, marquée par des nuits flamboyantes au Blitz ou au Taboo – hauts lieux de la scène underground londonienne – révèle un univers où les looks improbables se produisaient comme des feux d’artifice stylistiques. C’est dans cette effervescence, en compagnie de l’iconique Leigh Bowery, que McQueen puisera l’inspiration du maquillage intense de sa collection automne-hiver 2009-2010.
À travers les lignes affûtées de son dernier portrait, la journaliste et autrice Véronique Bergen, toujours aussi captivante par la finesse de son analyse, dresse un hommage à ce « bad boy » de la couture. Publié chez E/P/A, son ouvrage ne se contente pas d’aligner les dates, il explore avec justesse l’itinéraire d’un créateur incandescent : ses racines, ses fulgurances, ses douleurs, son legs.
Comme elle l’avait fait pour Karl Lagerfeld – qu’elle dessinait en « Kaiser » au regard impénétrable –, Bergen choisit ici une approche moins biographique que sensible. Pour ceux qui souhaitent s’immerger davantage dans les parts d’ombre de McQueen, le livre Dieux et Rois de Dana Thomas (Éditions Séguier) demeure une référence incontournable. Oui, McQueen aimait les nuits transgressives, les bars SM de Londres, les paradis artificiels, et ce goût du danger nourrissait ses créations d’un souffle brutal et charnel.
La monographie, richement illustrée, reprend le même format que celle dédiée à Lagerfeld. Véritable outil pour les étudiants en stylisme, elle éclaire les zones grises de cet esthète radical. Alexander McQueen, tel que le décrit Bergen, n’était pas simplement un designer. Il était un questionneur d’âmes, un orfèvre du paradoxe, un génie obsédé par la beauté et hanté par la finitude.
Issu d’un milieu modeste – un père chauffeur de taxi, une mère enseignante –, McQueen était le dernier d’une fratrie de six. Dès l’adolescence, il se passionne pour Hitchcock, les oiseaux et les silhouettes. Loin des clichés d’un monde élitiste, il reste, malgré la reconnaissance, un enfant des faubourgs, brut, entier, réfractaire à l’ordre. À 16 ans, il quitte l’école pour apprendre l’art du tailleur à la source, sur Savile Row. Il perfectionne son savoir-faire chez Red or Dead, puis assiste Roméo Gigli à Milan.
Son retour à Londres marque un tournant : diplômé de la prestigieuse Central Saint Martins, il signe une collection de fin d’études inspirée de Jack l’Éventreur. Le choc est immédiat. Sa muse et bienfaitrice Isabella Blow reconnaît en lui un météore. C’est elle qui le pousse à adopter le nom de scène Alexander McQueen. L’histoire est lancée.
BEAUTÉ, CHAOS ET RITUELS ESTHÉTIQUE
Pendant près de deux décennies, il électrise la mode. Chaque défilé devient un manifeste. On se souvient de sa collection printemps-été 2004, inspirée du film On achève bien les chevaux de Sydney Pollack, ou encore de ce show troublant, où des montagnes d’ordures peintes en noir symbolisent la décrépitude de notre planète. McQueen ne faisait pas de mode, il posait des questions, parfois violentes, toujours sincères.
Son hommage aux sorcières de Salem histoire vraie de deux cents femmes accusées de sorcellerie entre 1692 et 1693 dont près de trente furent condamnées et dix-neuf exécutées, ou l’ensorcelant défilé Plato’s Atlantis considéré comme une œuvre maîtresse avec des thèmes futuristes et apocalyptiques, sont autant de rituels esthétiques face au chaos du monde. La beauté comme ultime exorcisme.
Mais l’ombre n’est jamais loin. Sa dernière collection pour homme est traversée par des motifs de corde, comme un funeste présage. Le 11 février 2010, la veille des obsèques de sa mère bien-aimée, McQueen choisit de quitter ce monde. Il avait 40 ans.
« Donnez-moi du temps et je vous donnerai une révolution », disait-il. Le temps lui a été volé. Mais sa révolution, elle, ne cessera de résonner.
Sylvie di MEO
Alexander McQueen – de Véronique Bergen – Éditions E/P/A – 208 pages – 35 € –https://www.editionsepa.fr/