BANDE DE GÉNIES
Mémoires du Montparnasse
des Années folles
Paris et Berlin deux villes enfiévrées et décadentes
Les Éditions Séguier surprennent régulièrement avec des souvenirs ou des portraits intéressants. Après les mémoires hilarantes de Bernard Boutet de Monvel, c’est au tour de Robert McAlmon de nous faire revivre ce qu’était Paris dans les années vingt.
Ce dernier est un poète, écrivain, éditeur américain et surtout un noceur invétéré. Bel homme, homosexuel, dont le premier amour de jeunesse fut le père de l’écrivain Gore Vidal (lui-même homosexuel notoire). Il épouse la très riche Bryher qui était la fille de Sir John Ellerman, l’homme le plus riche d’Angleterre. Le mariage est une couverture pour les deux car Bryher est lesbienne. Cette union lui permet de devenir l’un des acteurs majeurs de la vie littéraire des années 20 et un éditeur pointu avec Contacts, sa société d’édition. Il est le premier à publier Ernest Hemingway et Gertrude Stein. Il dit d’ailleurs d’Hemingway que c’est un excellent homme d’affaires doublé d’un publicitaire qui utilise les gens plutôt qu’il ne s’interroge à leur sujet. Son parcours n’est pas sans rappeler celui du poète Siegfried Sassoon dont Terence Davies tira un très beau film (voir notre article).
Entre Paris et Berlin
N’aimant pas l’Angleterre et Londres où Bryher et lui ont un appartement, il trouve la ville déprimante, incapable de lui offrir l’inspiration qu’il recherche. Il s’installe à Paris mais ne résiste pas non plus à l’attrait sulfureux de Berlin. Entre les deux guerres, cette ville enfiévrée est baignée dans une décadence où la cocaïne coule à flots et où les interdits n’existent guère. Les cabarets berlinois, repaires d’une faune interlope, attirent des jeunes gens de tous horizons, prêts à se laisser séduire pour un dîner ou un peu d’argent. Pour les Américains, le coût de la vie est dérisoire, mais pour les Allemands, l’inflation galopante plonge la population dans une pauvreté affligeante. Malgré ces contrastes saisissants, c’est à Paris, dans le cœur battant de Montparnasse, qu’il choisit de poser ses valises pour de nombreuses années. Figure emblématique des « Expatriés », il passe des soirées inoubliables au Dôme, à la Coupole, au Bœuf sur le Toit, ou encore au Jockey. Chaque nuit, ces lieux mythiques voient défiler un cortège flamboyant de peintres, écrivains, et fêtards invétérés, tous unis par une soif inextinguible de créativité et de plaisirs. On y croise Jane Heap avec son regard perçant, Mina Loy à la beauté envoûtante, Clotilde et Laurence Vail, inséparables et excentriques, Mary Reynolds, l’intrépide, Man Ray, toujours en quête du cliché parfait, et Marcel Duchamp, le génie iconoclaste. Kiki de Montparnasse, muse et reine de la nuit, égaye les soirées aux côtés de Harold Van Doren, Cocteau, Jacques Rigault, Radiguet, Louis Aragon, René Crevel, Dos Passos, et Foujita. La liste est longue et non exhaustive, chaque visage raconte une histoire, chaque rire, un écho de frénésie. Ensemble, ils boivent à la vie, à la folie, et à cette époque révolue où Paris et Berlin étaient les épicentres d’une révolution culturelle inoubliable.
Alcool, sexe, drogues et littérature...
Voilà un homme mondain et cultivé, qui cherche de l’opium pour Ezra Pound, se presse à la corrida avec Hemingway et assiste au célèbre Bal des Quat’zarts qu’il ne trouve pas assez décadent et joyeux malgré la foule de gens nus peints en vert… Il fréquente aussi La Petite Côte d’Azur (Sainte Maxime, Saint Tropez, Théoule sur Mer où, des années plus tard, le génial Pierre Cardin fit construire son étonnant Palais Bulles créé par Antti Lovag).
Une vague de suicides frappe la capitale et le milieu littéraire, sa maison d’édition Contacts se voit forcée de fermer. Il voyage en Europe, au Mexique et regagne en 1940 les États-Unis où il meurt dans la misère16 ans plus tard.
Ses mémoires laissent deviner un homme légèrement condescendant par ses réflexions que l’on doit certainement à la richesse de son épouse. Les portraits de ses contemporains sont vifs et acérés mais sans trop d’humour, dommage. Il faut souligner en revanche le travail remarquable de la traduction confiée à Paul Simon Bouffartigue.
Une vraie curiosité pour les lecteurs avides d’en savoir plus sur cette génération haute en couleur que l’on dit perdue.
Christian CHARRAT
Bande de génies – de Robert McAlmon – Éditions Séguier – 480 pages – 22,90 € – editions-seguier.fr