BORDS DE SCÈNE- A. DE BROCA

L'ENVERS DU DÉCOR DE LA COMÉDIE-FRANÇAISE

A.de Broca célèbre les artisans du théâtre

         Toutes les photos : DR/ Tableaux Alexandre de Broca

Avec Bords de Scène, publié chez Gallimard, le peintre Alexandre de Broca signe l’un des livres d’art les plus saisissants de la saison. Le principe est simple, presque irrévérencieux : s’immiscer dans l’intimité du théâtre le plus mythique de France, la Comédie-Française, et en révéler le cœur battant, loin des ors, des saluts et des projecteurs.

De Broca n’entre pas en touriste : il entre en témoin. Pendant des mois, il traverse les couloirs secrets, les ateliers de couture, les salles de construction, les loges encore chaudes d’une présence, les dessous du plateau où les pas résonnent comme un langage. Il peint les lieux, les artisans, les techniciens, les comédiens en préparation, toutes ces vies discrètes qui fabriquent la magie avant qu’elle n’apparaisse.

Un livre comme une déambulation dans l’inconnu

Bords de Scène n’est pas un catalogue, c’est un itinéraire.
Le livre se lit comme on suit un guide nocturne dans un lieu interdit au public. On commence par les ateliers où naissent costumes et décors, on glisse ensuite vers les couloirs techniques, les foyers silencieux, les escaliers étroits, avant d’atteindre les bords du plateau –  cet espace minuscule où les comédiens deviennent personnages.

Chaque toile joue comme un témoignage intime, un instant volé mais jamais indiscret. À côté, quelques lignes sensibles prolongent l’atmosphère, plutôt qu’elles ne l’expliquent : un éclat de voix, une odeur de tissu, un souffle d’attente.

La noblesse des métiers de l’ombre

Le charme du livre tient aussi dans la manière dont De Broca célèbre les artisans du théâtre. Machinistes concentrés, costumières appliquées, perruquiers penchés comme des orfèvres, régisseurs en pleine chorégraphie silencieuse : tous apparaissent comme essentiels dans la construction d’une pièce. Car ici, chaque geste compte.
Chaque métier dit quelque chose de la précision et de l’humanité du lieu. On comprend que la Comédie-Française n’est pas qu’une scène : c’est un organisme vivant.

Un regard poétique sur la mécanique du théâtre

Au fil des pages, la Maison de Molière cesse d’être une institution pour devenir une présence. De Broca ne cherche pas à montrer le théâtre qui triomphe : il montre celui qui se prépare, celui qui respire, celui qui doute. Son travail ouvre la porte d’un territoire fragile : le moment d’avant, le presque, l’entre-deux. Cette zone où le spectacle n’existe pas encore mais s’imagine déjà.

Le résultat : un livre magnifique, habilement construit, qui révèle la part invisible du théâtre avec une délicatesse presque cinématographique.

Bords de Scène ou l’art de regarder autrement

En condensant peinture, observation et écriture (et quelle écriture !) signée par Clément Hervieu-Léger, Éric Ruf et Didier Sandre, de la Comédie-Française, Alexandre de Broca offre un objet rare : un livre qui ne montre pas seulement ce qu’est la Comédie-Française, mais ce qu’elle fait ressentir. Un théâtre qui s’invente dans les mains des artisans, dans la ligne d’un costume, dans la pénombre d’un escalier, dans une crispation retenue avant l’entrée en scène.

Bords de Scène n’est pas seulement un témoin pictural : c’est un manifeste. Il revendique la beauté des coulisses, la richesse tactile et humaine des lieux de création, là où l’on tisse le drame, la comédie, l’émotion. À travers l’œil et la main du peintre, la Comédie-Française se dévoile sans ses ors, dans son intimité, dans ses ruelles d’atelier, ses contrechamps silencieux, ses préparatifs invisibles.

C’est un hommage discret, profond, élégant. Un livre qui rappelle que la beauté du théâtre commence bien avant que la lumière ne frappe le public. Avec en prime, tout le talent du peintre, délicat et plein de poésie. À (s’) offrir !

Sylvie DI MEO

Bords de Scènes  – de Alexandre de Broca – Éditions Gallimard/ Comédie-Française – 118 pages – 28 € – gallimard.fr