Charles Fréger
« Aam Aastha »
Photo © Charles Fréger, Ammam Kali, Kaliyattam, Thanjavur, Tamil Nadu, Inde de la série AAM AASTHA, 2019-2022 © Les filles du calvaire
Le jeu masqué
La galerie Les filles-du-calvaire surprend tout d’abord par son nom qui n’est pas sans rappeler le beau livre éponyme de Pierre Combescot, paru aux Éditions Grasset en 1991. En effet, après l’exposition en l’honneur de l’artiste photographe et poète de Karen Knorr, c’est au tour de Charles Fréger de nous surprendre avec ses clichés colorés.
Depuis le début des années 2000, avec ses séries de « Portraits photographiques et uniformes », Charles Fréger explore, par le biais du vêtement et du costume, nos manières d’être au monde.
Au cours de la dernière décennie, il a consacré quatre séries aux mascarades : Wilder Mann, dédié au continent européen (2010-), Yokainoshima (2013-2015), localisé sur l’archipel nippon, Cimarron (2014-2018) ancré dans les territoires des Amériques et enfin AAM AASTHA (2019-2022), réalisé en Inde. Ce dernier projet, récemment exposé au Château des Ducs de Bretagne – Musée d’Histoire de Nantes, révèle, en un vertigineux répertoire de formes, couleurs et matières, le jeu masqué des représentations des divinités indiennes, s’incarnant à l’occasion de performances sacrées. L’exposition à la galerie Les filles du calvaire présente, concomitamment à la sortie du livre (Actes-Sud), une sélection de ces incarnations divines.
Pour composer AAM AASTHA, c’est par le sud du pays (Karnataka, Kerala et Tamil Nadu) et avec l’épopée fondatrice du Râmâyana comme fil conducteur que l’artiste a amorcé son exploration des formes d’incarnations de divinités majoritairement hindoues. Ces divinités peuvent nous paraître lointaines mais elles sont l’essence même de l’Inde. La couleur est omniprésente dans la vie des indiens d’où l’importance de celle-ci dans les clichés de Charles Fréger.
Photo © Charles Fréger, Gussadi #2, Gond Dipawali, Adilabad, Telangana, Inde de la série AAM AASTHA, 2019-2022 © Les filles du calvaire
Par le biais des films, le cinéma indien est devenu une religion qui rassemble des milliers de fervents spectateurs. Canal Plus avait produit un documentaire passionnant sur le cinéma indien, hélas, aujourd’hui introuvable. Movie Mahal, expliquait l’évolution de cette industrie de ses débuts à ce qui deviendrait Bollywood. Si certaines scènes sont très drôles car over-kitsch, les acteurs sont devenus les dieux païens de l’époque. La télévision, les livres scolaires, les populations ont assimilé des formes dominantes de représentations hindouistes mais leur éloignement des grandes villes permet de faire perdurer une multiplicité d’interprétations : des traditions de masques sculptés, de totems, des formes de maquillage, des typologies de personnages propres à chaque région. Déjouant la hiérarchie sociale établie, l’incarnation des dieux révèle une organisation parallèle, codifiée, au sein de laquelle certains individus, souvent issus des castes les plus défavorisées, se voient assigner ce rôle sacré.
On ne regarde pas simplement des photos aussi belles soient- elles. Ces clichés représentent pour les sujets photographiés un changement de statut social et quant on sait l’importance des castes en Inde, c’est leur quotidien qui en est totalement bouleversé. En ce qui concerne les visiteurs, ce serait plutôt la pupille des yeux qui serait bouleversée mais aussi totalement charmée.
Il est important de préciser que les photographies ont été réalisées avec le soutien de la Fondation d’entreprise Hermès. Le projet a reçu le soutien de la Fondation Antoine de Galbert, de la Région Normandie et de l’Institut français en Inde.
A voir sans tarder !
P.S/ On peut aussi acheter le beau livre – Charles Fréger, incarnations et divinités AAM AASTHA – Traduit par Myriam Bellehigue – Éditions Actes-Sud – 320 pages – 36,90 € – actes-sud.fr
AAM AASTHA de Charles Fréger – Galerie des Filles du Calvaire -17 rue des Filles-du-Calvaire – 21 rue Chapon 75003 Paris – Jusqu’au 3 juin et du mardi au samedi de 11h à 18h30
Fillesducalvaire.com – actes-sud.fr