DÉFILÉ AU LOUVRE

Du musée aux défilés

Pourquoi les mannequins ne sourient pas ?

Le milieu de la mode fait rêver le monde entier depuis des décennies. Les livres, Le Diable s’habille en Prada de Lauren Weisberger et Le plus beau métier du monde de l’italienne Giulia Mensitieri ont parfois calmé les vocations.  Car c’est un milieu féroce où ne compte que l’apparence et les places sont chères.

Un parallèle osé mais évident

La journaliste de mode au Nouvel Obs, Sophie Fontanel, une belle plume et figure incontournable de cet univers, s’est promenée dans les allées du Musée du Louvre en faisant un parallèle entre les chefs d’œuvre exposés et le milieu si particulier de la mode. Son livre paru aux Éditions Seghers est plein d’humour, intelligent et réfléchi. Il est vrai qu’il y a des comparaisons presque évidentes à faire…, Sophie nous dresse le portrait du Chancelier Séguier -1660-1661 de Charles le Brun entouré de jeunes gens très élégants qui évoquent à la journaliste l’équipe du studio (bureau de création) de Louis Vuitton prenant un café en terrasse. Une question que se posent les néophytes : pourquoi les mannequins ne sourient pas ? Elle répond en commentant la pose souriante de Madame Molé-Raymond, de la comédie italienne – 1886 de Elisabeth Vigée Le Brun ; les couturiers préfèrent que l’on admire leurs créations plutôt que les sourires des mannequins.

Du photocall au premier rang

Sophie s’amuse et nous avec, à comparer ce qui se fait lors d’une exposition au Louvre ou lors d’un défilé de mode…Un photocall au Louvre : c’est une façon pour les visiteurs de se faire prendre en photo devant une œuvre. Pour la mode : on pose devant le nom ou logo de la marque écrit en énorme pour immortaliser l’évènement et le poster ensuite sur réseaux sociaux. Le tout sous les cris hystériques des badauds et des curieux.  Sophie Fontanel continue sa comparaison avec le Front Row (le premier rang).  Au Louvre : premier rang, des personnes sans gêne se placent systématiquement devant vous lorsque vous regardez un tableau.  Dans la mode : premier rang tout court.  Des personnes importantes qui n’aimeront pas le show si elles sont au deuxième rang. Il faut savoir que ce placement est symbolique tout comme celui de l’attribution d’un tabouret aux grands de ce monde à la cour du roi Louis XIV. Le premier rang version mode consacre l’importance du magazine et de son représentant(e). Voilà pourquoi aucun défilé ne commence tant que l’impératrice, Anna Wintour du Vogue USA coincée dans les embouteillages à Paris avec sa limousine, n’est pas présente.  Se référant au tableau Conversation dans un parc 1746-1748 de Thomas Gainsborough, l’autrice évoque le temps d’attente parfois interminable avant un défilé qui dure en moyenne 10 minutes. Il est interdit bien sûr de croiser les jambes gênant ainsi les photographes qui n’hésitent pas à manifester vivement leur colère. L’attente permet aussi d’écouter les conversations qui sont souvent et involontairement, drôles ou méchantes, voire les deux. Le réalisateur Loïc Prigent s’est fait une réputation en les compilant pour notre plus grand bonheur.

Du front row au backstage

Hors le Front row, il y a un public nombreux debout derrière, on parle alors de Standing.

Au Louvre : statut de quiconque visite le musée sauf cas rare. Dans la mode : statut de quiconque a miraculeusement réussi à entrer mais n’a pas trouvé de place assise. La parfaite illustration d’un défilé est Les noces de Cana 1562 – 1563 de Véronèse. Au milieu de l’agitation, il est amusant de noter que certaines personnes obligées d’être présentes, affichent un ennui flagrant… L’autrice en vient alors au Podium sur lequel paradent des mannequins masculins à l’air ballot qui est la norme et choisit en illustration le Pierrot vers 1719 de Antoine Watteau. Mais que se passe-t-il derrière le rideau qu’on appelle le Backstage ?

Au Louvre : scènes d’intimité saisies par les artistes.  Dans la mode : scènes d’intimité saisies par les make-up artists et les hair stylists.  La parfaite illustration est le tableau Femmes d’Alger dans leur appartement 1834 de Eugène Delacroix.  Ces femmes semblent attendre le moment de leur passage sur le podium. Il aura cependant fallu du temps pour que le monde du luxe se décide à faire défiler des arabes (Farida), des indiennes (Kirat), des asiatiques (Sayoko) et des femmes noires (Iman). Dans ce milieu, on appelle les mannequins par leur prénom comme si leur vie de famille n’intéressait personne, ce qui n’est pas faux car le temps des top models est bien fini.

Le plus de ce glossaire chic sont les entretiens de Sophie Fontanel avec Olivier Gabet, directeur du département des Objets d’art du musée du Louvre. Ces échanges sont passionnants et formateurs.  Raison de plus pour mettre au pied du sapin ce bel ouvrage qui n’est pas seulement destiné aux fashion victims.

Sylvie di MEO

Défilé au Louvre de Sophie Fontanel – Éditions Seghers – 352 pages – 35 € –lisez.com/seghers

Chancelier Séguier -1660-1661 de Charles le Brun

Femmes d’Alger dans leur appartement 1834 de Eugène Delacroix

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