l'édito

de Christian Charrat

Kazuhiro
kobayashi

Hommage à un maître
et un ami disparu

Kazuhiro Kobayashi

Toutes les photos : © Kazuhiro Kobayashi

À l’aube de la nouvelle année 2024, les souvenirs frappent à notre porte et ils ne sont pas toujours bons… Kazuhiro Kobayashi, aujourd’hui décédé, était mon regard, mon double professionnel et mon ami. Il était non seulement l’un des plus grands photographes de mode japonais mais un génie du noir & blanc et de l’argentique. Un maître au sens propre, un senseï comme disent les japonais. Ses sens, ils les avaient aiguiser car bien qu’aveugle d’un œil, il avait appris la photo par lui-même sans fréquenter aucune école. Sa blessure, il la cachait derrière d’épaisses lunettes noires. Il s’affichait toujours avec de nombreux cristaux autour du cou, censés le protéger contre le mauvais sort, vaines croyances.

Kazuhiro Kobayashi, un Senseï admiré

Nous nous étions rencontrés dans mon bureau de Christian Dior Monsieur situé dans le quartier de Roppongi à Tokyo. Il arriva escorté d’un traducteur prétendant ne pas comprendre l’anglais. Je découvris par la suite qu’il le maîtrisait très bien… C’était son arme pour être tranquille, ne pas être agressé par ses clients étrangers car il parcourait le monde tant son talent était reconnu. Sur les shootings, il était entouré de nombreux assistants au garde à vous. Impérial, il donnait ses ordres depuis son fauteuil fumant cigarette sur cigarette. Il fallait environ deux heures pour que la lumière lui convienne.  Une fois celle-ci réglée, le mannequin prenait la pose et si celle-ci donnait satisfaction à Kazuhiro, il avait ordre de ne plus bouger un cil. Nous vérifions, lui la lumière et la pose, moi la tenue, la coiffure, le maquillage. Et si les deux nous donnaient satisfaction, le shooting pouvait alors commencer. Un célèbre top model brésilien arrogant, capricieux et agacé par la longueur des temps de pose, quitta le studio pour rentrer chez lui… Un autre, mourant de chaud sous les projecteurs s’évanouit, ce qui n’émut pas Kazuhiro outre mesure. C’est aussi cela le métier de mannequin qui fait tant rêver les candidats. Un jour, sur un shooting d’une semaine, pour une campagne publicitaire au château D’Anet (propriété de la favorite du roi Henri II, la belle Diane de Poitiers), je le voyais hésitant et faisant des Polaroïds qui ne lui donnaient pas satisfaction. Je compris ce qui se passait : il n’aimait pas le mannequin qui était réservé pour la semaine.  Nous perdions du temps et de l’argent, nous n’avions pas d’autre choix que de renvoyer le mannequin qui s’effondra en larmes. Il était payé mais il n’aurait pas de photo de Kobayashi dans son dossier photos.  C’était la première fois que nous voyions un mannequin pleurer de déception…

La dure réalité du métier de mannequin

L’humain, à savoir le mannequin, n’était pour lui que matière à création, jamais il ne tenta d’entrer en relation avec ces derniers, aucune séduction, aucun geste, rien, il était impassible. Sauf, s’il tenait le bon cliché et là on l’entendait pousser de légers soupirs de contentement et nous savions tous que la prise serait bonne.  Il filmait en permanence avec un caméscope tout ce qui l’entourait, nos rires, les marques de la fatigue qui s’accumulait au fil des heures, l’inquiétude ou les excès, parfois. Il offrait à ceux qui étaient ses amis, les cassettes VHS et l’on se voyait tel que l’on était, irrité, nerveux ou au contraire fort joyeux. Le temps des shootings crée des liens entre les êtres que ce soit lors d’une simple journée ou d’une semaine. Nous sommes tous dans une communion artistique qui s’apparente à du bonheur. 

De retour en France, lorsque je pris la création et la direction de la première ligne de vêtements masculins pour ST Dupont, je le fis venir à plusieurs reprises du Japon pour shooter les catalogues et les campagnes publicitaires.  Il était arrêté systématiquement aux douanes à cause de ses looks étonnants et de sa tonne de matériel.  

Un binôme de choc

Nous n’avions plus besoin de parler, nous communiquions par un sourire, ou une moue dubitative.  Il savait exactement ce que je désirais et l’image que je souhaitais obtenir.  La complicité était omniprésente et perdurait. Kazuhiro était complice de mes visions élégantes mais aussi parfois décadentes (le mannequin en smoking avec de grosses bagues aux doigts, un fume-cigarette dans l’autre main rampant en smoking sur le sol du château, est encore à ce jour, un sublime cliché).  Nous avons pris des risques inversant les stéréotypes, faisant poser une femme habillée en homme, serrant dans ses bras un homme entièrement nu ce qui ému la direction de Dior. Qu’importe, nous nous étions compris et étions très fiers du résultat.  Sa femme ravissante et dynamique s’occupait de lui avec tendresse et amour.  Il disparut subitement et j’ai perdu sa trace imaginant le pire qui est hélas, arrivé. Je suis sûr que là où il est, il doit faire poser les plus beaux anges du paradis sous son objectif… Du même signe (Lion), nous étions en phase, il donnait vie à mes fantasmes photographiques et artistiques. Aujourd’hui, cet autre moi-même me manque terriblement, je l’avoue bien humblement. 

The show must goes on...

La vie reprenant ses droits, dans ce numéro, nous vous proposons de voir le film admirable de Bradley Cooper, Maestro sur Netflix. Vous pourrez découvrir Lillian Gish, la première vamp de Hollywood. Vous pouvez lire : Le grand soir, Les meurtres du Lowcountry , À ceux qui ont tout perdu et surtout, les hilarantes mémoires de Bertrand Boutet de Monvel . Écouter ou ré-écouter le Messie de Handel et The Fairy Queen par Les Arts Florissants, on vous emmène à l’Auditorium de Lyon et à l’Opéra de Lyon par la même occasion.  Les fous de belles voitures italiennes seront comblés par le très beau livre des éditions Gestalten.  Les amateurs de bande dessinée trouveront deux nouveautés en sélection pour le 51ème Festival de la Bande Dessinée à Angoulême. 

Et, une bonne nouvelle pour le mois de février, la grande tendanceuse et décoratrice, Elizabeth Leriche, prendra ma place en tant que Rédactrice en chef de notre numéro spécial décoration.  C’est une fierté et un honneur pour toute notre équipe. 

Bonne lecture et belle année 2024 à tous ! 

Kazuhiro Kobayashi
Kazuhiro Kobayashi
Kazuhiro Kobayashi
Kazuhiro Kobayashi
Kazuhiro Kobayashi
Kazuhiro Kobayashi