EDWARD SNOWDEN DE ROBERTO SAVIANO
Et autres portraits pour un monde engagé

La rumeur salit et n'épargne personne
On connaît et admire Roberto Saviano grâce à la publication de son livre Gomorra (2006) qui met à nu le milieu de la Camorra (mafia italienne). Depuis cette publication, il doit vivre en permanence sous protection policière. On avait aussi adoré son livre consacré au juge assassiné par la mafia, Giovanni Falcone et paru aux éditions Gallimard.
C’est donc un homme courageux et qui de surcroît écrit fort bien, qui nous propose ce petit livre : Edward Snowden et autres portraits pour un monde engagé publié aux éditions Folio.
Il nous parle dans ce nouveau roman d’un phénomène qui s’est malheureusement développé encore plus ces dernières années, la rumeur, souvent fausse, qui salit et qui peut conduire au suicide ou pire, au meurtre. Il met l’accent sur la collecte de nos données personnelles et souvenirs depuis nos téléphones mobiles. Le premier lanceur d’alerte fut l’américain Edward Snowden qui informa l’opinion publique sur les données collectées ainsi par la très puissante NSA (National Security Agency) sur des milliers d’américains et britanniques : « Une fois les données collectées et stockées de manière permanente, un gouvernement peut faire de n’importe quelle personne un bouc émissaire ».
La chasse aux sorcières
Roberto Saviano évoque aussi le pouvoir politique russe qui sous Staline appelait -sans équivoque- la censure « répression culturelle ». Ils ont fait de la vie de la célèbre poétesse Anna Akhmatova, un enfer. Le dictateur et ses sbires menaceront la vie de son fils si elle refusait d’écrire les louanges du dictateur. Autre victime encore, Émile Zola que le très polémique romancier Léon Bloy qualifiait de colossal imbécile. Zola, qui pensait qu’un écrivain doit être un reporter de l’abîme. On ne lui pardonnera jamais son cri de colère « J’accuse ! » publié dans le journal l’Aurore au sujet de l’affaire Dreyfus. Il sera retrouvé mort dans sa chambre, asphyxié à l’oxyde de carbone…
Que dire de Martin Luther King dont la chambre à coucher fut mise sur écoute par le redoutable, paranoïaque, narcissique et pervers sexuel, Edgar J Hoover. En effet, le docteur, récipiendaire du Prix Nobel de la paix, avait des maîtresses blanches, ce qui était un grave délit pour le FBI raciste de l’époque. Il ira jusqu’à appeler sa femme pour lui faire écouter les ébats amoureux de son mari… Harcelé en permanence par Hoover, arrêté à de nombreuses reprises, Luther King finira par être assassiné à l’âge de trente-neuf ans.
La rumeur qui tue
Une autre victime fut l’actrice américaine Jean Seberg qui du fait de son statut de star de cinéma, fut souvent sollicitée par des organisations non gouvernementales pour lesquelles elle n’hésita pas à faire des chèques. Elle prendra position en faveur des noirs et sera d’ailleurs proche de Raymond Hewitt, un noir influent dans la lutte des droits civiques et que l’on soupçonnera d’être son amant. Hoover lâchera ses chiens et le FBI fera appel à la presse people pour la discréditer. On fit d’elle une femme ingénue et psychologiquement fragile. Mariée à l’écrivain Romain Gary, elle accouchera d’une petite fille prématurée qui mourra peu de temps après. Harcelée par les rumeurs, cent quatre-vingts photographes venus du monde entier seront présents aux funérailles. Elle devra laisser ouvert le cercueil pour que la presse constate que la petite fille était blanche et non noire. Ignoble ! À chaque date anniversaire de la mort de sa fille, elle tentera de se suicider et réussira finalement neuf ans plus tard.
À travers la loupe déformante de cette presse à scandale, toute amitié devenait sale. Il y avait souvent un membre du FBI infiltré dans les rédactions pour mieux traquer les stars. Hoover avait des fichiers sur des centaines de personnalités de tous horizons. Il s’en servait pour les faire chanter.
Une plume acérée et courageuse
Ce petit livre absolument brillant et instructif, se termine par l’assassinat de l’écrivain et cinéaste italien Pier Paolo Pasolini. Ses livres feront polémique car ils évoquent le milieu de la prostitution masculine. Pasolini attire le scandale car homosexuel, il passe ses nuits sous la lune du Capitole et sur le Mont Caprino ou l’amour des garçons est à vendre. On le traînera en justice à de multiples occasions sous des motifs divers et on prétendra même que lui et son avocat sont amants. La pression sera quotidienne avec toutes sortes de rumeurs aussi fausses et incroyables les unes que les autres. Un groupe de néo fascistes l’agressera lors d’une prise de parole en public. Les procès s’enchaîneront, on frôlera la persécution. Il finira par être assassiné dans la nuit du 1er au 2 novembre 1975 par un dénommé Guiseppe Pelosi, prostitué mâle et drogué. Il avait 53 ans. On gardera en mémoire son film Médée avec la prima donna assoluta Maria Callas.
En ces temps inondés de fake news et de fausses images générées par l’intelligence artificielle, la phrase de Roberto Saviano est à méditer : « Chacun de nous a le droit de vivre dans un angle mort »… On ne peut plus dire que l’on ne savait pas comment fonctionnent les rumeurs et la propagande dangereuse des autocrates en tous genres.
Christian CHARRAT
Edward Snowden et autres portraits pour un mode engagé – de Roberto Saviano – Éditions Folio – 144 pages – 3 € – folio-lesite.fr