Elle - Un siècle au féminin

Le magazine ELLE fête ses quatre-vingt ans avec un joli livre retraçant son parcours depuis la création du magazine en 1945 par Hélène Gordon-Lazareff. Cette femme brillante, née à Rostof sur le Don, fait partie de la grande bourgeoisie juive de Russie. Sa famille s’enfuit à Paris avant la révolution d’octobre. Elle travaille pour des magazines français jusqu’à la Seconde Guerre mondiale où elle trouve refuge avec son mari Pierre Lazareff, juif lui aussi, à New York. Là ils découvrent la presse américaine. Hélène officie d’abord au Harper’s Bazaar puis au New York Times. Après la guerre, le couple rentre en France. Pierre Lazareff fonde le quotidien France Soir tandis que sa femme crée le magazine hebdomadaire ELLE avec le succès qu’on lui connaît et sa maxime : « Du sérieux dans la frivolité, de l’ironie dans le grave. »

Témoignage d’une époque

Dans ce livre passionnant, la parole est donnée à différentes personnalités féminines, en priorité, Véronique Philipponnat la rédactrice en chef du magazine. Pour les textes, on retrouve les signatures avec entre autres, Monica Sabolo (autrice), Dorothée Werner (grand reporter, éditorialiste), Inès de la Fressange (top modèle) grande habituée du magazine avec 16 couvertures, Marion Ruggieri (rédactrice en chef de la section « People-mode-société ») et un homme, un seul, Loïc Prigent, célèbre pour ses émissions de mode. Le livre est basé sur douze thèmes : Sororité, Bouches, Motifs, Créateurs-Créatrices, Combats, Cris, Essentiel, Cheveux, Top-Modèles, Sauts, Politiques, Icônes. Chaque thème est illustré par des photos prises au fil du temps avec les débuts en tant que mannequin de la toute jeune Brigitte Bardot, tenant déjà un chat dans ses bras attestant si besoin était, de son amour pour les animaux. 

Et les hommes dans tout cela ?

À l’exception de Loïc Prigent, les voix masculines restent rares dans cette brillante compilation. Pourtant, de jeunes hommes achètent régulièrement le magazine, tandis que d’autres le feuillettent avec intérêt, reconnaissant la qualité de ses contenus.

L’essayiste et philosophe Olivia Gazalé évoque même « une révolution au masculin ». Le mouvement #MeToo, dès 2017, a en effet pris de court une grande partie des hommes, les confrontant à une réalité longtemps minimisée : l’immense majorité des violences faites aux femmes sont commises par des hommes.

Plusieurs articles du magazine se consacrent ainsi à la parole masculine, révélant un sentiment de remise en question profonde lié à une masculinité désormais perçue comme toxique.

Les combats des femmes à travers le monde

Ava Djamshidi (rédactrice) parle des combats qui unissent femmes et hommes. Ceux racontés dans les pages du magazine nous concernent tous : les féminicides, la vie des femmes iraniennes oppressées par le régime des Mollahs, le racisme, le handicap, le terrorisme, etc.  Lorsque l’actualité se transforme en histoire et que les droits des femmes sont en péril, ELLE fige l’instant et crie leurs désespoirs et leurs espoirs. Qu’elles soient héroïnes de révolution #MeToo, en France ou protagonistes du mouvement « Femme, Vie, Liberté » en Iran, ELLE capte leur force, leurs drames, leurs aspirations et interpellent sur leurs combats.

Un couple qui fonctionne : photographe et mannequin

Le magazine ELLE est aussi connu pour faire travailler de grands photographes comme – le visionnaire Peter Knapp ou Gilles Bensimon qui sublime la beauté naturelle des mannequins et épouse même, Elle Macpherson surnommée « The Body » tant son corps est sculptural ; – Hans Feurer, le roi de la transparence, joue avec la lumière naturelle ; – le célèbre Olivero Toscani séduit autant qu’il scandalise avec ses campagnes publicitaires pour la marque italienne Benetton ; – le talentueux Jean Baptiste Mondino adoré des stars, photographe et réalisateur de clips devenus cultes: Tandem de Vanessa Paradis, Osez Joséphine D’Alain Bashung, Human nature de Madonna…  Sans oublier David Sims, André Carrara, André Rau, etc.

Odile Sarron, une légende du casting

Au ELLE, Odile Sarron est une légende car elle fut directrice de casting durant trente-huit ans. On lui doit les découvertes de top models incontournables comme Inès de la Fressange, Elle Macpherson, Claudia Schiffer et Laetitia Casta, Famke Jansen. On ne trouve pas de trace photographique de la « Tom boy » Leslie Winer qui était pourtant très présente et s’est ensuite consacrée à la musique. En revanche, on retrouve la belle anglaise Jean Shrimpton, dite « La crevette », lancée par le photographe David Bailey dans les sixties. Les morphologies différentes n’empêchent pas Odile Sarron de donner sa chance à la pulpeuse et belle américaine Rosemary Mc Grotha. Les rondes remportent un franc succès.

Et les stars dans tout cela ?

Le magazine n’échappe pas à l’appétence des lectrices concernant les stars de cinéma. ELLE en fait des icônes : Françoise Hardy, l’impavide Catherine Deneuve, Charlotte Gainsbourg, Angelina Jolie, Carole Bouquet, Rihanna, Angèle, Jeanne Moreau, Jane Birkin, Audrey Hepburn, Charlotte Rampling et son regard hypnotisant. Ava Gardner que l’on surnommait « le plus bel animal au monde » (vrai compliment, on s’interroge ?) sont en couverture ou encore, Romy Schneider souriante. On peut retrouver aussi la brillante et bilingue Jodie Foster mais le numéro le plus vendu reste celui de l’actrice Emmanuelle Béart se baignant nue, celui-ci fut surement acheté aussi par beaucoup d’hommes…

ELLE reste un lien privilégié pour les femmes entre beauté joyeuse et actualités prégnantes. Dans les années soixante, l’émission mythique de Daisy de Galard, Dim Dam Dom en était une version animée avec aux commandes un certain Peter Knapp !  Le magazine ELLE survit aux décennies avec toujours cette encrage sociétal, témoin d’une époque…

C’est un palimpseste où s’inscrit au fil des pages l’histoire de la mode et de la société.

Sylvie DI MEO

Elle-Un siècle au féminin – 1945-2025 – Éditions Seghers – 264 pages – 35 € editis.com/maisons/seghers/