GALERIE LAROCK - GRANOFF À paris

Édition : L'histoire d'une galerie parisienne centenaire

Chagall et Monet jouent un rôle déterminant

Sur la couverture du livre « Larock- Granoff, histoire d’une galerie », le bandeau doré est attractif : « l’histoire incroyable de la femme derrière le succès des Nymphéas de Monet ». Elle s’appelait Katia Granoff. Jeune ukrainienne ayant fui la révolution russe, elle est devenue l’une des rares femmes marchandes d’art du XXe siècle. Cet épais volume à la tranche dorée, raconte son parcours, ses rencontres avec les artistes, et la transmission de cette galerie aujourd’hui centenaire (1924/2024) à la 4e génération, à Edouard Larock, son arrière petit neveu. L’autrice, Clotilde Scordia, historienne de l’art, signe un récit très fluide à partir d’un colossal travail de documentation.

La rencontre avec Chagall

En 1924, Katia, 29 ans, rejoint sa sœur Rose à Paris. Elle répond à une annonce publiée dans le journal : le salon des Tuileries recherche une « secrétaire vendeuse ». C’est là qu’elle rencontre les futurs grands maîtres. Polyvalente, elle fait le lien avec aisance entre les artistes, les collectionneurs et les visiteurs. A tel point qu’elle est encouragée à ouvrir sa propre galerie (boulevard Pereire). « J’ai eu pour la peinture une vocation si forte que je me demande encore aujourd’hui, si j’aurais pu faire autre chose » déclare-t-elle en 1975.

Elle défend les artistes contemporains, ses choix artistiques sont remarqués, elle devient une référence. En 1937, elle déménage au 13 quai de Conti, entre l’hôtel de la Monnaie et l’institut de France, son adresse actuelle (1).

Chagall et Monet jouent un rôle déterminant : C’est aux Tuileries qu’elle croise le peintre biélorusse pour la première fois : sa peinture la bouleverse, elle le défend face à certains membres du jury. Il lui confie des œuvres. « Nous sommes tous restés longtemps à regarder les perles merveilleuses de votre art (…) de votre génie » lui écrit-elle.

La renaissance de Monet

Katia Granoff fut aussi une femme de lettres, une poétesse et une visionnaire. En 1956, elle échange avec Michel Monet, le fils cadet du maître décédé en 1926, dont elle acquiert le fonds d’atelier, à Giverny. On a peine à le croire mais à cette époque, Claude Monet n’a pas la cote. L’Orangerie, où sont installés les grands panneaux des Nymphéas est désertée. Les critiques sont acerbes, même André Lhote parle de son « effarant suicide ». La mode est à l’abstraction toute puissante. Mais les amateurs américains n’ont pas cet aveuglement.

En 1958, un incendie détruit Les Nuages, présentés au MoMa de New-York. Son directeur, Alfred Barr, doit négocier avec elle pour remplacer ce qu’il considère comme le chef d’œuvre de son institution. Il acquiert quatre œuvres, et Katia lui en offre une supplémentaire. En reconnaissance, explique-t-elle, de la libération de la ville de Manosque par l’armée américaine où elle était réfugiée en 1944. L’Amérique, elle, apprécie l’impressionniste. Dans sa galerie, Katia expose Monet et la presse française s’enflamme enfin pour ces grandes végétations aquatiques.

L’amitié avec Jean Couty

Une autre rencontre va compter, celle avec Jean Couty. La galeriste est accueillie par sa mère à Lyon en 1940, « autour d’un bol de chocolat fumant ». « C’est un Lyonnais qu’elle impose à Paris », rappelle le critique d’art René Deroudille. Elle l’expose dès 1945 (18 expositions personnelles suivront). Elle défend son travail avec ferveur et présente notamment le magistral Bénédicité (aujourd’hui propriété du musée des Hospices Civils de Lyon), dont Picasso dira qu’on « ne sait plus peindre comme ça aujourd’hui ».

Les familles Couty et Granoff sont restées amies. Elles ont en commun la volonté de partager leur passion de l’art avec tous les publics, avertis ou moins. Elles ont aussi le goût de la transmission familiale. Charles Couty a ouvert en 2017, un musée autour de l’œuvre de son père (2). Katia n’a pas eu de descendants, mais sa sœur Rose, dont elle était si proche, a épousé un Luxembourgeois Georges Larock. Dont elle a eu un fils, Pierre. Qui lui-même a eu deux fils, Pierre et Marc. Tous ont perpétué l’aventure, en l’enrichissant avec des artistes contemporains au gré de leurs rencontres et de leurs coups de cœur. Depuis 2018, Edouard, l’arrière-petit-neveu de Katia seconde son oncle Marc à la galerie. Après des études de finances et de gestion, il a eu envie de se lancer dans le domaine artistique avec son épouse Gabrielle… et de faire connaître la belle histoire de son aïeule à l’occasion des cent ans de la galerie.

Isabelle BRIONE

 « Larock- Granoff, histoire d’une galerie » – par Clotilde Scordia, 290 pages, éditions Mare Martin, 45 euros.

(1) – Galerie Larock -Granoff à Paris. A voir actuellement « Dialogues, exposition collective jusqu’au 2 aout 2025. 13 quai de Conti, Paris 6ewww.larock-granoff.fr

(2) – Musée Couty à Lyon . A voir actuellement « Lyon, ville rêvée » vue par les artistes lyonnais du XXe siècle à nos jours jusqu’au 18 janvier 2026. 1, place Henri Barbusse, Lyon 9e (Ile Barbe). www.museejeancouty.fr    

 

Photo ci-dessus : Marc Chagall, le peintre à Paris, 1978, huile sur toile 33×22, collection Larock-Granof © Adagp, Paris 2022

Photo ci-dessus :  Le pont Bonaparte et Saint Jean, 1972, huile sur toile 73X60 cm © Musée Couty

Photo ci-dessus : Katia Granoff à Cannes devant une œuvre de la série des Nymphéas années 1970 : D.R

Photo ci-dessus : Katia Granoff dans sa galerie honfleuraise : D.R