jeux de lumière de D.Kehlmann
L'ombre de Greta Garbo plane sur ce livre passionnant

Un réalisateur génial au destin tragique
Greta Garbo, surnommée « La Divine » en raison de la beauté envoûtante de son visage, hante les pages de ce livre captivant, incontournable pour tout cinéphile averti.
L’ouvrage de Daniel Kehlmann est consacré au génial réalisateur G.W Pabst qui fit de la très belle suédoise une star mondiale après son apparition dans son film muet, La rue sans joie en 1925. Le cinéma est alors un monde nouveau et chaotique. C’est lui qui l’impose à Hollywood où il réside avant la Seconde Guerre mondiale. Elle passe le cap du cinéma muet grâce à sa voix grave et sensuelle. Pour l’anecdote, sa future grande rivale débute dans La rue sans joie. Elle s’appelle Marlène Dietrich… Elles se partagèrent même les faveurs de Mercédès de Acosta et de John Gilbert, dixit les mémoires de Maria Riva, fille de Marlène. Federico Fellini disait de Garbo : « Elle fut la fondatrice d’un ordre religieux appelé cinéma ». L’auteur dit d’elle : « La beauté hors du commun était difficile à supporter, elle consumait quelque chose chez les gens qui l’entouraient, c’était une sorte de malédiction ».
Actes-Sud une maison d’édition légendaire
Mais si « La Divine » est omniprésente dans le roman de Kehlmann, c’est surtout le destin tragique de G W Pabst qui inspire l’auteur et séduit les Éditions Actes-Sud placées sous la présidence de Françoise Nyssen, nommée Ministre de la Culture en 2017. Cette maison d’édition très cinématographique collabore régulièrement avec le Festival Lumière de Lyon, entre autres. C’est également une institution dans la ville d’Arles. Jeux de Lumière, traduit de l’allemand par Juliette Aubert –Affholder, mélange très habilement faits historiques et fiction.
Le destin tragique de G.W Pabst
Georg Wilhelm Pabst est né en Autriche en 1885. Il débute sa carrière comme comédien. Puis séjourne en France où il est interné lors de la première guerre mondiale. Lorsqu’il retourne en Allemagne, le succès est au rendez-vous comme cinéaste avec quelques-unes des œuvres les plus admirables du cinéma muet de l’époque. Il tourne avec Garbo bien sûr, mais aussi avec Louise Brooks dans Loulou en 1928.
Pabst devient un réalisateur allemand tout aussi connu et respecté que Friedrich Wilhelm Murnau ou Fritz Lang, les maîtres de l’expressionnisme allemand. Lors de la prise de pouvoir par Hitler, il tourne en France puis se réfugie à Hollywood. Mais ne maîtrisant pas l’anglais, il n’intéresse pas les grands studios malgré l’appui de « La Divine ». Lorsqu’il apprend que sa mère est souffrante, il rentre dans son Autriche natale, annexée par l’Allemagne nazie, c’est l’Anschluss. La guerre éclate et le voilà bloqué dans le Troisième Reich et confronté à la brutalité du régime. Goebbels, ministre de la propagande du Reich, veut faire tourner le génie du septième art. Persuadé de pouvoir résister aux avances et de ne se plier à aucune autre dictature que celle de l’art, Pabst fait alors le premier pas vers un enlisement sans retour.
Une période très trouble
L’auteur narre de façon réaliste la vie sous le nazisme dans le milieu du cinéma dressant par exemple, un portrait au vitriol de Leni Riefensthal, danseuse, actrice passable mais réalisatrice adulée par les nazis pour ses deux films Le triomphe de la volonté et Les Dieux du stade. On découvre au fil des pages, un réalisateur sympathique qui improvise sur le plateau et respecte les acteurs les poussant à donner le meilleur d’eux-mêmes sans élever la voix. Si D.W Griffith et Fritz Lang savent mieux créer des images et Gottfried Reinhardt est sans aucun doute le meilleur dans la direction d’acteur, personne ne vaut G.W.Pabst au montage.
À la solde du régime nazi, le réalisateur voit ses exigences exaucées. Il est difficile de trouver des figurants, qu’à cela ne tienne, on prend des prisonniers roms au camp de concentration de Maxland. Besoin d’une foule importante pour un plan, qu’importe on mobilise des centaines de soldats dont certains ont à peine seize ans. Le régime se débarrasse des critiques, un genre juif dont personne n’a besoin… Pabst cherche un auteur pour travailler sur un scénario mais tous les bons auteurs sont en prison ou en exil.
Une réputation ternie
Il tourne ensuite un film à Prague, Le cas Molander, dont les bobines sont à jamais perdues. Kehlmann met l’accent sur la vision de Pabst qui imagine sa vie dans ces terribles circonstances comme si c’était un film qu’il contrôlerait ou mettrait en scène. Le cinéma fausse sa vision de l’horreur quotidienne. Après la chute du régime nazi, il redevient autrichien et réalise trois films pour exorciser les démons de ce régime déchu, mais sans grand succès. Il cesse de tourner en 1958, reçoit un hommage en 1963 et meurt, presque oublié, à Vienne le 29 mai 1967.
Ce livre passionnant rend hommage à un grand cinéaste dont les films marquent les balbutiements d’une industrie pleine de promesses, et sont encore projetés dans les cinémathèques du monde entier.
Christian CHARRAT
Jeux de lumière –de Daniel Kehlmann – Éditions Actes-Sud – 416 pages – 23,50 € – actes-sud.fr