Justine Triet
Justine Triet, cinéphile avertie
Photo : Maëlle Arnaud etJustine Triet © Jean-Luc Mege
Une femme
sous influence ?
La nouveauté du dernier Festival Lumière de Lyon, c’est que Maëlle Arnaud, personnalité importante de l’Institut Lumière, interroge les réalisateurs sur les films qui les ont fascinés et influencés pour les conduire à la réalisation. La première réalisatrice à essuyer les plâtres est Justine Triet, qui rappelons-le, a gagné la Palme D’or à Cannes avec son film Anatomie d’une chute et a reçu le Prix Jacques Deray 2024. Le concept est fort intéressant car on a tous des films qui nous ont profondément marqué mais de là à passer derrière la caméra, il y a un pas que cette grande femme de quarante six ans a fait avec talent. Les propos de la réalisatrice sont illustrés par des extraits de films, ce qui ajoute à l’intérêt de la discussion.
La maison au centre de l'action
Pour Justine Triet, née en 1978, le foyer joue un rôle dans ses influences cinématographiques et surtout, les années 70 avec des films majoritairement américains. Elle cite L’exorciste de William Friedkin et Une femme sous influence de John Cassavetes. Ce qu’elle voit dans L’Exorciste, ce n’est pas une gamine possédée par le diable, mais une mère qui se bat pour sauver sa fille qui va mal. Le plus du film est que le son est effrayant ! Tout comme Xavier Dolan, elle y attache une attention particulière. La musique prime sur la croyance des spectateurs à l’image projetée. Une femme sous influence partage sa vision que la maison en elle-même peut se transformer en enfer. L’héroïne (magnifique Gena Rowland) n’arrive pas à jouer un rôle au sein de sa famille. C’est un film sur la folie qui touche tout particulièrement Justine Triet car elle-même a eu dans sa famille des personnes internées. Elle est toujours très admirative du travail de John Cassavetes depuis qu’elle a vu Opening Night toute jeune. Terreur sur la ligne est aussi un film qui lui plaît beaucoup, surtout la mise en scène et les premières dix minutes car là encore, la maison joue un rôle particulier. Le tueur qui harcèle au téléphone la baby-sitter qui se barricade, est en fait déjà dans la maison…
Elle admire vraiment Une femme libre de Paul Mazursky, encore un parcours de vie au féminin magnifiquement filmé. Elle aime et respecte l’amitié entre les femmes et ce film lui parle beaucoup.
Claude Sautet, un maître
Elle aime beaucoup Les choses de la vie et ce qui la fascine chez Sautet c’est la vitesse au propre et au figuré. Il y a dans le film, une recomposition comme un puzzle pour essayer de comprendre ce qui s’est passé. Ce film déjà très connu mérite d’être vu et revu. La scène de l’accident de voiture l’impressionne toujours autant ainsi que le public car la maîtrise et le découpage de cette scène sont admirables. Pourtant, c’était un réalisateur assez mal aimé. Quand elle a démarré, il y a vingt-cinq ans, ce n’était pas du tout à la mode d’aimer les films de Claude Sautet. Elle confesse ne pas apprécier le cinéma de François Truffaut, ce qui fait rire le public. Doit-on être cinéphile pour être cinéaste ? Non pas vraiment !
La chute spectaculaire de Don't look back
Elle aime les scènes d’accident car après l’accident de voiture dans Les choses de la vie, c’est la chute d’un échafaudage dans Don’t Look back de Nicolas Roeg avec Julie Christie et Donald Sutherland (1974.) Film très dangereux pour l’acteur qui faillit mourir en tournant la scène spectaculaire de la chute. Ce long métrage a beaucoup inspiré Justine Triet par son intrigue mais aussi par sa colorimétrie. Elle met en avant la scène d’amour, très sensuelle pour l’époque, entre Donald Sutherland et la belle Julie Christie. Cette séquence posa un énorme problème car Warren Beatty (connu pour sa sexualité hétérosexuelle débridée à Hollywood durant des années frôlant le priapisme) et qui était alors en couple avec Julie Christie, était aussi fou de jalousie, situation très paradoxale… Il fit une scène au réalisateur car il trouvait la scène trop érotique pour sa compagne de l’époque. Une spectatrice révéla qu’en fait les deux acteurs avaient finalement eu une aventure.
Les débuts
Justine Triet a fait des études aux Beaux Arts et a approché le cinéma avec les documentaires, ceux, entre autres, de Raymond Depardon. Quand elle a démarré dans l’industrie, elle n’avait aucune idée de comment faire un film, Federico Fellini, non plus*. Elle a juste suivi l’avis du réalisateur Frederick Wiseman, qui lui conseillait pour les scènes d’action, de ne pas agiter sa caméra dans tous les sens. Aujourd’hui, elle prépare vraiment ses storyboards et accepte au moment du tournage, les incidents de parcours inévitables. Sa passion du cinéma est aussi dû au fait que son père était projectionniste au mythique cinéma l’Entrepôt qui était, on l’a oublié, la propriété de Frédéric Mitterrand. Elle voit Le feu follet (1963) inspiré du livre de Pierre Drieu de la Rochelle et de la vie de Jacques Rigaut avec Maurice Ronet dans le rôle principal. Ce film de Louis Malle, l’incitera plus tard, à tenter sa chance en tant que réalisatrice. Elle classe les réalisateurs en deux catégories : ceux qui aiment la vie et ceux qui ne l’apprécient pas assez. Elle ajoute que la sexualité des réalisateurs se devine à travers leurs films, ce qui est une évidence. Tout comme les photographes de mode, on devine si ces derniers aiment les femmes ou préfèrent les hommes au travers de leurs clichés.
Qu’importe tant que le résultat est beau et cinématographique…
Christian CHARRAT
Le Festival Lumière à lieu chaque année à Lyon au mois d’octobre. Plus d’informations sur festival-lumiere.org