KARL LAGERFELD
Signé par la talentueuse Véronique Bergen

La mode est pour lui un palimpseste

Les éditions E/P/A ont publié un beau livre sur l’icône de la mode, Karl Lagerfeld. Une multitude d’ouvrages ont paru sur celui que l’on surnomme le Kaiser Karl car l’homme impressionna par sa créativité le milieu de la mode durant des années. Mais ce qui frappe dans cette nouvelle iconographie est l’intelligence des textes signés de Véronique Bergen. Elle écrit avec profondeur et sérieux sur un sujet superficiel et léger. Cela aurait plu au couturier allemand, car s’il paraissait futile, il ne l’était pas. Il paraissait peu amène, il ne l’était pas. L’ex top modèle, la chicissime Inès de la Fressange, qui l’inspira durant des années, le décrit comme étant un homme drôle et brillant.
Un caméléon de génie
Ce beau livre au format inhabituel est serré dans un brassard noir qui évoque le deuil en hommage au styliste protéiforme décédé le 19 février 2019 à l’Hôpital Américain à Paris. La construction de l’ouvrage est parfaite. On commence par la grande histoire, celle de sa biographie et de ses tricheries sur sa date de naissance, son enfance, et différentes anecdotes. Homme caméléon, retranché derrière ses masques, Karl Lagerfeld a créé un personnage devenu mythique, reconnaissable même en ombre chinoise… Styliste mais aussi photographe, designer, éditeur, le Kaiser de la mode n’a cessé de fictionner sa vie et de développer une œuvre multiple, unique, riche et fascinante, à la rencontre des XXe et XXIe siècles.
Ce qui est abordé ici et qui est très intéressant, ce sont ses sources d’inspiration car chaque styliste se nourrit d’un film, une exposition, un tableau, un livre, tout est propice à la création d’une collection. Karl Lagerfeld était curieux de tout ce qu’il voyait dans son quotidien, dans la rue, dans les clubs tels le Sept ou le Palace où il aimait se rendre avec ses amis, les divers courants musicaux tels le RAP, etc.
Ensuite, vient le chapitre Coulisses et là, l’autrice aborde son passé professionnel : Karl avant Karl, les années Chloé et Fendi et bien sûr Chanel ; puis vient le chapitre Esthétique du styliste avec son vocabulaire, le postmodernisme et ses créations marquantes ; et enfin le chapitre Influence avec son côté multi facettes et son héritage non pas financier car on sait que les héritiers se déchirent à ce propos, mais son héritage stylistique. En effet, depuis son décès, la maison Chanel semble en termes de style, flotter comme perdue et livrée à elle-même. Le nouveau directeur artistique Matthieu Blazy est attendu avec impatience par la presse du monde entier. Sera-t-il adoubé, telle est la question ?
Un passionné de littérature
L’homme était excessivement cultivé et parlait plusieurs langues. Sa bibliothèque était impressionnante, composée de milliers d’ouvrages. Sa passion pour les livres le poussa à ouvrir une librairie à Paris et à créer une maison d’édition 7L. Sa vie privée n’est que peu abordée, sauf concernant sa relation amoureuse avec un hobereau de province, Jacques de Bascher. Un homme à la réputation sulfureuse, personnalité toxique qui réussit à brouiller Yves Saint Laurent et Karl Lagerfeld, pourtant très amis. Mais que ce soit le garde du corps de Karl, Sébastien Jondeau ou sa dernière « muse », le beau Baptiste Giabiconi, chacun dès la disparition du Kaiser, y est allé de ses confidences sur sa relation avec le Kaiser par le biais de livres décevants. L’élégance n’est pas qu’une question de vêtements, c’est avant tout un comportement. Véronique Bergen se concentre et c’est tant mieux, sur sa carrière et son influence dans l’univers de la mode. Il n’avait peur de rien et s’il côtoyait parfois la vulgarité, il contre-attaquait avec des modèles d’une élégance et d’une sophistication extrême.
Voilà un homme qui réussit à faire de son animal, la belle chatte Choupette, une star. Il n’éprouvait pas le besoin d’avoir, au début de sa carrière, sa propre griffe, travaillant pour beaucoup de marques prestigieuses mais il avait réussi à faire de son apparence un vrai trademark connu dans le monde entier.
La mode était pour lui un palimpseste où il écrivait à chaque saison une nouvelle histoire. Karl Lagerfeld est entré dans la légende et restera à tout jamais gravé dans la mémoire de la Fashion Planet.
Sylvie di MEO
Karl Lagerfeld – de Véronique Bergen – Éditions E/P/A- 208 pages – 35 € – editionsepa.fr