KEN DOMON
Le maître du réalisme japonais
Toutes les photos : © Ken Domon
Ses débuts au studio de Kôtarô Miyauchi
Ceux qui ont visité le Japon, voire y ont vécu et les tous les autres, doivent se rendre à la Maison de la Culture et du Japon à Paris pour visiter cette exposition passionnante sur le Japon d’avant guerre.
Ken Domon (1909-1990) est l’une des figures les plus marquantes de la photographie japonaise avec Kazuhiro Kobayashi. Si Ken Domon s’intéresse à la vie quotidienne, Kazuhiro Kobayashi s’intéresse uniquement au milieu de la mode et ce sont deux générations différentes de maîtres de la photographie.
Concentrons-nous sur Ken Domon et sa production entre 1930 et 1970. L’exposition qui lui est consacrée réunit une centaine de clichés. L’œuvre de Ken Domon a durablement marqué l’histoire de la photographie au Japon en posant les bases de la création photographique contemporaine, au point d’être, aujourd’hui encore, considéré comme une référence incontournable. Domon a cherché pendant toute sa vie à obtenir les images les plus réalistes qui soient, sans verser dans un quelconque misérabilisme. Alors qu’un vent nouveau soufflait sur le Japon à la fin de la guerre, son regard, sans filtres, se posait sur la société en général et sur la vie quotidienne : « La réalité sociale du quotidien s’impose au moins autant à moi que les traditions ou la culture antique de Nara et de Kyoto ; le point commun de mon intérêt pour ces deux sujets, c’est ma tentative de comprendre le lien que ces réalités ont avec la destinée des Japonais, leur colère, leur tristesse, leur joie. » attestait Ken Domon.
On ne peut s’empêcher de penser à Marc Riboud exposé au Musée des Confluences à Lyon. Dans cette exposition on découvre deux reportages qui traduisent le plus nettement le réalisme social caractéristique de son travail, soit : Hiroshima (1958), considéré par le prix Nobel Kenzaburô Ôé comme la première œuvre d’art contemporain inspirée par la bombe atomique à traiter des vivants et non des morts, et Les enfants de Chikuhô (1960), une série photographique, qui témoigne de la pauvreté qui ronge les villages miniers du Sud du pays, en se focalisant sur la vie des enfants des rues. Ken Domon est devenu le chef de file de la photographie réaliste au Japon dans les années 1950. Il a certainement été influencé par de grands photographes occidentaux tels que Cartier-Bresson et Eugene Smith, aux côtés desquels il expose à Tokyo en 1951 et 1953.
Ces témoignages photographiques sont hélas toujours d’actualité de nos jours, alors que les grands de ce monde se réunissaient à Hiroshima pour discuter de la sécurité du monde menacé par un autocrate dangereux : Vladimir Poutine. La pauvreté s’accentue pour des milliers de gens et le photographe capte cela avec une sensibilité extrême. Il y a cependant des sourires car les enfants, en dépit d’un quotidien tragique, réussissent encore à sourire et à jouer. Le cliché des sœurs sans leur mère est déchirant, quelle douleur pour ses deux sœurs qui vivaient dans la précarité et dans une masure.
Ken Domon fait ses débuts dans la photographie à 24 ans, en 1933, lorsqu’il intègre, en qualité de simple apprenti, le studio de Kôtarô Miyauchi à Ueno (Tokyo). Il publie sa première photographie dans le numéro d’août 1935 de Asahi Camera. Domon réalise alors ses premiers reportages pour le magazine Nippon édité dans plusieurs langues afin de promouvoir la culture japonaise à l’étranger, mêlant à la fois information et propagande.
Avec son Leica modèle C
Son premier reportage photographique, réalisé au sanctuaire Meiji-jingû à Tokyo avec son Leica modèle C, porte sur la fête de shichi- go-san, une sorte de rite de bénédiction des enfants. Domon traitera aussi de l’artisanat, des traditions, des progrès industriels et militaires et du côté progressiste du Japon, qui, dans les années 1930, amorçait alors son virage nationaliste.
À l’aube de la seconde guerre mondiale, la photographie n’échappe pas à la réglementation stricte imposée par les autorités militaires du Japon. Seuls quelques rares photographes professionnels se voient confier du matériel pour couvrir les sujets jugés « nécessaires » au regard de leur compatibilité avec les besoins de la propagande du gouvernement, du ministère des Affaires étrangères, de l’Agence internationale du tourisme et de la Société pour la promotion internationale de la culture.
Les événements tragiques de la seconde guerre mondiale et la capitulation du Japon meurtri par les atrocités de la bombe atomique révèlent la grande supercherie de la propagande de guerre. La défaite a entraîné la fin du mythe impérial et du shintoïsme d’État qui constituaient le fondement de l’idéologie militariste. Si dès la fin des années 1940 un renouveau intellectuel prodigieux conduit à une reprise rapide de la circulation d’idées au travers de magazines, de publications, d’expositions et des cercles artistiques naissants, les mots adéquats sont manquants pour exprimer cette réalité tragique. Face au besoin de narration d’un Japon en plein bouleversement, le réalisme des photographies de Domon qui documente aussi bien l’occidentalisation des mœurs à travers la ville que les les ruelles ou les groupes les plus pauvres de la population le distingue jusqu’à devenir une référence. Il tire aussi le portrait à des artistes mais il arrivait que l’obstination professionnelle du photographe exaspère tant son sujet, que cela se transpose sur la pellicule.
Il s’éteint à l’âge de 80 ans à Tokyo et il est temps de courir à la Maison de la culture et du Japon découvrir l’œuvre de ce témoin de l’histoire de son pays et ce jusqu’au 13 juillet.
Ken Domon, le maître du réalisme japonais – Maison de la Culture et du Japon – 101 quai Jacques Chirac 75015 Paris – Métro Bir-Hakeim – RER Champ de Mars – Tél : 33+(0)1 44 37 95 00/01 – Entrée libre du mardi au samedi de 11h à 19h.
www.mcjp.fr