La guerre par d'autres moyens

L'ivresse du pouvoir dans le sens large

Au cinéma, les femmes de 35 ans sont déjà vielles...

L‘inspiration de Karine Tuil vient souvent des contradictions des individus et des hypocrisies de la vie contemporaine.

Son dernier roman, La guerre par d’autres moyens en est une démonstration brillante. Le roman évoque le couple iconique que Dan Lehman, un ancien président de la République, formait avec l’actrice Hilda Müller. Lui n’est plus que l’ombre lui-même et elle affiche la façade de rigueur. Alcoolique et menacé par des affaires judiciaires, Dan tente de revenir sur la scène médiatique tandis que sa femme tient le rôle principal d’un film qui pourrait être sélectionné au Festival de Cannes.

Le pouvoir puissant aphrodisiaque

Ce roman pose la question intrigante…de quel couple présidentiel s’est-elle inspirée ?  Est-ce de Nicolas Sarkozy et sa femme, l’ex top model Carla Bruni ou de François Hollande et l’actrice-productrice Julie Gayet ?  Le mystère demeure mais si l’on exclut les milieux professionnels des deux héros, Karine Tuil utilise des phrases pleines de lucidité désenchantées telles que : « L’amour n’est souvent qu’une affaire d’érection ». On sait d’avance que la fascination du pouvoir peut être fatale. Il suffit de suivre l’actualité quotidienne avec tous les scandales sexuels dans les milieux du cinéma, de la télévision, de la mode et bien sûr, de la politique. Une certitude cependant, ce même pouvoir isole car son détenteur n’est jamais sûr de l’attachement désintéressé de l’autre personne. C’est certes un aphrodisiaque mais certainement pas un filtre d’amour…

Le Festival de Cannes comme si vous y étiez

Le livre de Karine Tuil se raconte à plusieurs voix mais toutes sont audibles et crédibles.  La première épouse du président est autrice habituée au monde de l’édition. La seconde, (Hilda Müller) est une actrice vieillissante avec ce que cela implique de questionnement sur l’avenir. Sachant que le milieu du cinéma trouve que les femmes d’à peine 35 ans sont déjà « vieilles ». Les producteurs n’hésitent pas à se moquer des visages figés comme des masques de cire, alors que la faute leur revient ne donnant que très peu de rôles à des femmes plus âgées… Dès les premiers jours à l’Élysée, Hilda comprend qu’elle ne survivra pas cinq ans sans antidépresseurs tant l’exposition médiatique qu’impose la vie politique est brutale et obscène.

L’auteure précise très intelligemment que le métier d’acteur à ceci de commun avec la fonction politique qu’il faut savoir composer avec le rejet et la perte plus tard des flatteurs, des opportunistes et des faux amis. En effet, tous les acteurs le savent, ils n’existent que dans le désir d’un réalisateur et du public. Son récit de la venue de l’équipe du film et d’Hilda au Festival de Cannes est tellement réaliste qu’on se dit qu’elle a dû y participer d’une manière ou d’une autre.

L’alcool, un faux ami mais un vrai problème

La romancière aborde aussi le problème de l’alcoolisme du président par une citation de Marguerite Duras, alcoolique notoire, « Je sais une chose que personne ne sait. Vous avez besoin de l’alcool pour vivre ». Si l’héroïne du livre confesse qu’elle aime les effets de l’alcool sur son époux…ça le rend détendu, percutant, joyeux. Passé un certain stade, cela le rend aussi irritable, souvent méchant et parfois violent. Livré à lui-même, le président tente d’écrire sa vie, ce qui suscite cette réflexion cruelle : « L’écriture, on le sait, reste une voie de sortie honorable lorsque l’on a tout raté ».

Une chose est sûre c’est que Karine Tuil n’a pas raté son roman. C’est ciselé, aiguisé, criant de vérité. Un livre dont il ne faut surtout pas passer à côté !  

Christian CHARRAT

La guerre par d’autres moyens de Karine Tuil – Éditions Gallimard – 384 pages – 22 € – gallimard.fr