L'abbé Pierre-la fabrique d'un saint
Ou le silence assourdissant du Clergé

L'homme a les habilités d'un Rastignac
Comme annoncé auparavant, nous avons décidé de sortir de temps en temps de notre zone de confort, à savoir l’art de vivre, car il est des faits indignes que l’on ne peut ignorer.
Ce fut le choc de l’année 2024 ! La presse révéla un scandale de plus dans le giron de l’Église. L’abbé Pierre, le fondateur d’Emmaüs, était un prédateur sexuel. Sidération et colère dans l’opinion publique. Comment un homme qui a fait tant de bien a-t-il pu commettre tant d’actes scandaleux ? Mais hélas, ce n’était pas son seul secret. Il a gommé des pans entiers de son existence, menti à ses compagnons, à ses biographes et aux Français !
Deux femmes font chuter l’icône de son piédestal
Deux femmes déterminées ont uni leurs forces et leur talent pour livrer un livre absolument passionnant et édifiant sur ce personnage à la face obscure. Laetitia Cherel est grand reporter à la Cellule Investigation de Radio France. Elle a mené de nombreuses enquêtes sur les violences sexuelles dans l’Église catholique. Marie-France Etchegoin, est écrivaine, autrice d’une dizaine de livres d’enquête et ex grand reporter au Nouvel Obs. On croyait pourtant avoir touché le fond après la lecture de Sodoma, le livre de Frédéric Martel qui a enquêté sur les mœurs dissolues au sein du Vatican à Rome mais dans ce cas précis, c’est totalement affligeant !
Henri Grouès, l’abbé Pierre, adolescent perturbé par des pratiques religieuses douteuses.
On en sait désormais un peu plus grâce à ce livre édifiant, habilement construit et aux faits incontestables. Les Grouès, une famille aisée et catholique de la bourgeoisie lyonnaise, ont huit enfants. L’abbé Pierre s’appelle Henri et est né en 1912, il est le cinquième de la fratrie. Jamais l’abbé ne fera état du drame familial : sa tante Marie-Louise Victoire Grouès est connue pour avoir assassiner son mari. Le cadavre avait été expédié dans une malle sanglante de Paris à Nancy par chemin de fer…
Henri est un enfant de santé fragile avec des maladies qui le suivront durant toute sa vie. Il confesse tardivement avoir subi à l’âge de neuf ans en internat des attouchements de la part d’un plus grand pensionnaire. À l’âge de 16 ans, il se tourne vers la religion. Mais quatre ans plus tôt, il se meurt d’amour pour un autre collégien, Yves, à la voix de soprano. Il rejoint l’ordre des capucins à Crest, où trois fois par semaine en cellule chacun se plie au fouet en cuir ou en acier qui lacère mollets, fesses, dos…
Il est mobilisé au moment de la Seconde Guerre mondiale puis démobilisé pour raison médicale. Il devient l’aumônier Grouès et fait pour la première fois référence à « Emmaüs », ce village de Palestine où le Christ ressuscité apparaît à deux pèlerins. Il affiche ouvertement son antisionisme.
Un homme ambitieux, qui gère seul d’énormes sommes d’argent…
L’homme a de l’ambition et les habiletés d’un Rastignac. En 1947, il part un mois aux États-Unis où il rencontre Albert Einstein, pourtant juif… En 1949 naît la communauté des compagnons d’Emmaüs avec l’aide précieuse de Lucie Coutaz qui « tient la boutique » et rattrape les initiatives désordonnées du « Père ». Mais contrairement aux idées reçues, l’abbé ne fait ni dans l’assistanat ni dans la gratuité. Il devient député et avec son indemnité de parlementaire achète des terrains. Fin 1952, il réunit autour de lui près de deux cent compagnons et on parle de lui dans les médias. Il se dote même d’un service de relations extérieures, alors qu’il n’a jamais déclaré Emmaüs en préfecture et encore moins désigné de conseil d’administration. Il fait appel à la générosité des Français et de riches mécènes. Avec les compagnons à l’hiver 1954, ils inventent les maraudes. Il lance alors son célèbre appel à l’aide et à la solidarité sur Radio Luxembourg. Il est entendu et l’argent rentre. L’acteur Charlie Chaplin lui remet d’ailleurs 2 millions de francs. Lui seul décide de l’affectation des dons entre le compte de l’association et le sien propre et ce, sans justification aucune. On parle tout de même d’un milliard de francs perçu en 1954 ! Il part aux États-Unis et est reçu par le président Eisenhower en personne. Au cours de ce déplacement, deux femmes témoignent du penchant obscène de l’abbé. Suite à ce scandale, il ne peut plus se rendre aux États-Unis.
L’Église sait mais se tait
Dès 1955, non seulement le haut clergé français connait la côté sombre et la dangerosité de l’abbé Pierre mais le Saint Siège aussi ! Une procédure judiciaire est engagée par la curie romaine mais vite enterrée et aucune sanction n’est prise. On ne parle pas de rapports sexuels consentis mais d’agressions. Lors d’un voyage à Rabat en 1956, il force une jeune fille de 18 ans à le masturber, fait qui sera dévoilé en 2024. L’épiscopat se décide à l’envoyer en maison de santé car trop de plaintes s’élèvent. Il est aussi écarté d’Emmaüs car sa vie privée met en péril la réputation du mouvement formidable qu’il a créé. À 45 ans tous ses excès le rattrapent. On ne lui donne pas le droit de confesser car la sollicitation sexuelle en confession est punie par le Saint Office. Aux frontières de l’insoutenable, il se livre à des attouchements sur une fillette de huit ans ! Il choisit ses victimes parmi les familles des compagnons d’Emmaüs qui dénoncent une vraie brutalité. Certaines pourtant couchent volontairement avec « Le Saint ».
Un saint à la face du diable
Pervers, coupable d’agressions sexuelles et de viols commis sur des majeures et mineurs des deux sexes, tel fut l’homme qui fut élu dix-sept fois de suite personnalité préférée des Français. Une honte pour l’église, un scandale pour la France.
Il meurt le 22 janvier 2007 au Val de Grâce, il avait 94 ans. L’abbé Pierre laisse une fondation qui essaie de faire oublier jusqu’à son nom…
Christian CHARRAT
Abbé Pierre – La fabrique d’un saint – de Laeticia Cherel et Marie-France Etchegoin- Allary Éditions – 416 pages – 22,90 € –allary-éditions.fr