LE CARAVAGE

Un génie meurtrier

Jeté en prison, il s'en échappe

Qui sait aujourd’hui, que le premier rôle au cinéma de l’actrice Tilda Swinton était dans le film de Derek Jarman, Caravaggio, sorti en 1986 et inspiré de la vie du peintre italien le Caravage. Mais oublions les films sur le Caravage dont celui d’Alain Cavalier sorti en 2015, pour se concentrer sur le beau livre de Roberto Longhi paru aux Éditions du Regard et traduit de l’italien par Gérard-Julien Salvy. 

La peste frappe Milan tuant trois membres de sa famille

Une constatation s’impose toutefois, si le Caravage avait vécu à notre époque, il aurait lâché ses pinceaux pour réaliser des films tant sa maîtrise du clair-obscur est immense et cinématographique. Les réalisateurs se sont intéressés au Caravage car l’homme et son destin sont exceptionnels.  De son vrai nom Michelangelo Merisi da Caravaggio est né en septembre 1571 à Milan. Son père, magister, peut désigner un architecte ou un intendant de Francesco 1er Sforza.  Sa famille a une réputation honorable. La peste de 1578 décime trois personnes de sa famille qui fuit alors Milan et s’installe à Caravaggio. Ils reviendront plus tard à Milan. À treize ans, il entre en apprentissage pour quatre ans auprès du peintre Simone Peterzano. Les dernières années d’apprentissage de Caravage, entre 1588 et l’année de son déménagement à Rome durant l’été 1592, restent peu connues. En 1592 après la mort de sa mère, il part à Rome et tente d’y faire carrière mais son tempérament fougueux et querelleur provoque des rixes et duels. 

La protection du Cardinal Francesco Maria de Monte

Il connaît le succès à Rome et bénéficie de la protection du cardinal Francesco Maria del Monte qui l’encourage et le laisse travailler pour d’autres clients. Le cardinal collectionneur des premières œuvres de Caravage (il possède huit de ses tableaux à sa mort en 1627), conseille le jeune artiste et lui obtient une importante commande : la décoration de l’ensemble de la chapelle Contarelli à l’église Saint-Louis-des-Français de Rome. Le grand succès de cette réalisation vaut à Caravage d’autres commandes, et contribue largement à assurer sa renommée.  Faisant partie de l’entourage du cardinal, il porte l’épée qui est réservée à la noblesse ancienne, dont il ne fait pas partie et ce qui vu son caractère ombrageux n’est pas sans risque… Il passe d’ailleurs plusieurs séjours en prison.  En quelques années sa réputation de peintre grandit de manière phénoménale. Caravage devient un modèle pour une génération entière de peintres qui s’inspirent de son style et de ses thèmes. Il travaille beaucoup pour le clergé et divers édifices religieux. 

Client assidu des tavernes et de sa faune interlope

Néanmoins, il passe souvent ses soirées à traîner dans les tavernes avec ses compagnons, des dévoyés, des spadassins et des peintres.  Il y recrute ses modèles qui sont bien souvent de beaux voyous et des prostitués. L’érotisme des garçons peints dans ses tableaux lui vaut une réputation d’homosexuel avéré ou pas.  Sa vie bascule en 1606 lors d’un affrontement avec son ami Onorio Longhi contre les deux frères de la riche et violente famille Tommasoni liée aux Frarnèse de Parme. Il tue Ranuccio Tommasoni et est obligé de fuir Rome. Pour ce meurtre, Caravage est condamné par contumace à la mort par décapitation. Cela le contraint à rester éloigné de Rome. Commence ensuite un long périple de quatre années à travers l’Italie qui le conduit jusqu’à Malte en passant entre autres, par Naples. Cependant, romain d’âme et de cœur, il s’efforce d’y revenir tout le long de sa vie mais sans succès malgré un pardon pontifical que son travail, ses amis et protecteurs réussissent finalement à obtenir. À Naples, il continue à peindre et son immense talent lui rapporte de belles sommes d’argent. 

Un homme violent et bagarreur

Il arrive à Malte où il est fait chevalier de Malte de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem. Au cours d’une rixe, Caravage se mêle à un groupe qui tente de pénétrer de force dans la maison de l’organiste de la cathédrale. Jeté en prison, il s’en échappe par une corde et quitte Malte. Il est en conséquence radié de l’Ordre. En octobre 1609, il retourne à Naples. Dès son arrivée, il est grièvement blessé dans une nouvelle bagarre. Attaqué par plusieurs hommes, il est laissé pour mort mais il survit et peint encore sur commande plusieurs tableaux. 

Le contexte et les circonstances exactes de la mort de Caravage restent en grande partie énigmatiques. En juillet 1610, il apprend que, grâce à l’entremise du cardinal Scipion Borghèse, le pape est enfin disposé à lui accorder la grâce s’il demande pardon. Voulant brusquer le destin, il quitte Naples, muni d’un sauf-conduit du cardinal Gonzague, pour se rapprocher de Rome. Il s’embarque alors sur une felouque qui fait la liaison avec Porto Ercole.  Il fait escale à Palo Laziale, une petite baie naturelle du latium au sud de Civitavecchia sur le territoire des États de l’Église qui héberge alors une garnison. Alors qu’il est à terre, il est arrêté par erreur ou malveillance et jeté en prison pendant deux jours. Caravage espère enfin revenir à Rome. Mais il meurt en chemin. Son décès est enregistré à l’hôpital de Porto Ercole le 18 juillet 1610. Il a 38 ans..

Roberto Longhi, historien reconnu

Pour l’auteur Roberto Longhi, historien de l’art italien né en 1890 et mort en 1970, le Caravage fut le premier des peintres « modernes ». Dès 1926, il consacre au Caravage une analyse inaugurant une réflexion née du refus de l’art considéré comme illustration, c’est-à-dire comme littérature figurée. Ce bel ouvrage témoigne de l’influence de Caravage sur la peinture française. Les textes sont brillants, il faut s’y attarder et s’abandonner à la beauté des œuvres présentées. La mise en page est intéressante avec parfois des gros plans qui démontrent la précision de la main de l’artiste et son utilisation de la lumière par exemple : Les tricheurs ou La vocation de Saint Mathieu. La violence est présente non seulement dans la vie de l’homme mais dans son œuvre voir : Judith et Holopberne ou David avec la tête de Goliath. Mais nous garderons en fermant ce livre précieux, l’image de Narcisse qui symbolise tout l’art de ce génie du clair-obscur.

Le Caravage de Roberto Lhongi – Traduit de l’italien par Gérald-Julien Salvy – Éditions du Regard – 272 pages – 35 € – editions-du-regard.com

L’Arrestation du Christ au jardin des Oliviers, Dublin, Society of Jesuits of Saint Ignatius, en dépôt à Dublin, National Gallery, vers 1598, huile sur toile, 134 x 172,5 cm.

Le Christ à la colonne, Rouen, musée des Beaux-Arts, vers 1607, huile sur toile, 134,5 x 175,4 cm.

Judith et Holopherne, Rome, Galleria Nazionale d’Arte Antica, Palazzo Barberini, 1598-1600, huile sur toile, 145 x 195 cm.

Giovanni Baglione, L’Amour sacré et l’Amour profane (détail), Berlin, Staatliche Museen, Germäldegalerie, vers 1602-1603, huile sur toile, 179 x 118 cm.

LE CARAVAGE

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