Le dernier hiver du cid

Travailleur acharné, travailleur secret

L'icône absolue d'une époque

Parmi toutes les œuvres que proposait le dernier Festival Lumière, il y eut un moment très touchant avec la projection d’un documentaire consacré à l’icône du cinéma français qu’était le très séduisant Gérard Philipe de son vrai nom Gérard Albert Philip. La mère de l’acteur, très superstitieuse, lui demanda de rajouter un e à la fin de son nom de famille ainsi on obtenait 13 chiffres, signe de chance.

Ce documentaire Le dernier Hiver du Cid fut adapté du livre éponyme du mari de la fille du comédien Anne-Marie Philipe, Jérôme Garcin journaliste et écrivain que l’on ne présente plus.  Ce fut une projection chargée en émotion pour les spectateurs présents. Du dernier été à Ramatuelle au dernier hiver parisien, semaine après semaine, jour après jour, l’acteur le plus accompli de sa génération se préparait, en vérité, à son plus grand rôle, celui d’un éternel jeune homme qui se mourrait.

Il fut à l’instar d’un James Dean, l’icône absolue d’une époque et du cinéma français et bien avant l’arrogant Alain Delon. Il avait dans le regard une gentillesse, sentiment rare dans certains milieux : la mode et le cinéma par exemple.

Si pour les nouvelles générations, le nom de Gérard Philipe n’évoque plus grand chose ce qu’on peut déplorer. Le documentaire présenté au public lyonnais et avant sa diffusion sur France 5, comporte des archives familiales offertes à la curiosité du public par sa fille.  Les images équivalent à un voyage dans le temps où une star s’appelait encore une vedette et où les fausses valeurs véhiculées par des influenceurs ne détrônaient pas encore le vrai talent et l’intelligence…  Le documentaire témoigne de ses quinze derniers jours en mettant aussi en évidence sa brillante carrière et sa fulgurante ascension.

Cet acteur, habité par la passion du théâtre, bourré d’empathie, impressionna non seulement, la pellicule mais des foules entières sur scène et dans le cadre du Festival d’Avignon où, lors de représentations au TNP dirigé par son complice et ami Jean Vilar. Son allure juvénile et romantique en fit le « Chéri de ses dames. »  Chacune d’entre elles tombait sous son charme, mais il aima jusqu’a la fin, Nicole Navaux, épouse dans un premier temps du diplomate François Fourcade. Il lui demandera de reprendre son premier prénom, Anne qu’il trouve plus poétique. Ils auront deux enfants : Anne-Marie et Olivier.  Ceux-ci apparaissent au début du documentaire à la plage avec leur père nu et bronzé, à Ramatuelle où ils passent souvent leurs vacances.  Un bonheur simple immortalisé par sa femme Anne.  Elle le photographia jusqu’à sa mort. Ses clichés débordent d’amour pour cet homme magnifique, abattu par La Grande Faucheuse.

Né dans un milieu aisé, son père est un riche hôtelier et avocat avec des sympathies peu recommandables pour le régime de Mussolini et du parti nazi, ce qui lui vaudra de quitter la France pour éviter une condamnation à mort à la fin de la guerre.  Le jeune homme suit des études de droit jusqu’a qu’une rencontre inopinée avec le réalisateur Marc Allégret, qui va auditionner celui-ci.  Impressionné par ce qu’il décèle en lui, il l’encourage à s’inscrire au Centre des jeunes du cinéma de Nice et l’envoie prendre des cours d’art dramatique avec Jean Wall et Jean Huet à Cannes

Il fait un essai pour Le Diable au corps, mais le film est censuré par le régime de Vichy.  Ce qui ne l’empêchera de jouer le rôle principal en 1947 avec Micheline Presle. Ce film confirme son succès naissant en lui donnant une véritable notoriété. Il est toujours présent sur les planches des théâtres avec des rôles tels : Caligula d’Albert Camus et Les Épiphanies d’Henri Pichette.

Jean Vilar lui demande de tenir le premier rôle du Cid de Pierre Corneille lors de son second Festival d’Avignon.  Ce sera un triomphe qui le propulsera au premier rang des acteurs et restera gravé dans les mémoires de ceux qui eurent le bonheur de le voir car hélas, Jean Vilar s’oppose à la captation télévisuelle de ses spectacles.  Le metteur en scène lui propose aussi le premier rôle dans Le Prince de Hambourg, autre énorme succès.  Sa grâce, sa beauté et sa fragilité en apparence, impressionnent les foules.  Le film Fanfan la Tulipe énorme succès, lui apportera la célébrité internationale.

Anne et Gérard Philipe sont des partisans du Parti communiste français.  C’est un acteur engagé qui sera le premier à signer l’Appel de Stockholm en 1959 contre l’armement nucléaire en pleine guerre froide.  Il effectue plusieurs tournées en pays socialistes.  Il soutient matériellement et financièrement le Comité National des Acteurs.  Il sera élu à la tête dudit syndicat. Il milite notamment, en faveur d’un meilleur salaire et d’indemnités de répétitions, face à l’évolution du métier d’acteur, dans un contexte de développement du cinéma et de la télévision. Le syndicat, fort de 4 000 adhérents, fusionnera l’année suivante avec le Syndicat National des Acteurs pour former le Syndicat Français des Acteurs.  Il souhaitait que les acteurs partageant l’affiche avec lui touchent le même salaire, ce qui semble aujourd’hui, être totalement impensable !  Son nom figurait par ordre alphabétique sur les affiches, signe extérieur d’une modestie non feinte.

Passé derrière la caméra, il réalisa un film Les aventures de Till l’espiègle qui fut un échec, ce qui l’affecta beaucoup.

Seulement, la mort s’approche à petits pas, sournoise, attentive, prête à frapper…  En novembre 1959, Il est hospitalisé et on lui diagnostique un cancer du foie. Les médecins et sa femme Anne lui cachent la vérité. Il rentre à son domicile de la rue de Tournon. Il espérait rejouer sous peu et avait des projets plein la tête. Son épouse Anne l’immortalise sur la pellicule, dans son lit, fragile, fatigué mais toujours beau et avec toujours une étincelle dans le regard. Il décèdera le 25 novembre 1959, il allait fêter ses 37 ans. On l’enterra dans le costume du Cid car il ne jouait pas le rôle et pour des milliers de gens, il était le Cid .

Jean Vilar lui rendit un dernier hommage le 28 novembre, sur la scène du théâtre de Chaillot : « La mort a frappé haut. Elle a fauché celui-là même qui pour nous-même exprimait la vie. Travailleur acharné, travailleur secret, travailleur méthodique, il se méfiait cependant de ses dons qui étaient ceux de la grâce.»

Il repose désormais aux côtés de sa femme Anne dans le cimetière de Ramatuelle.

C.C

Le dernier hiver du Cid de Jérôme Garcin- 208 pages -Éditions Folio 8,10 € – Prix des Deux Magots 2020 – Version CD audio 21,90 €

Le dernier hiver du cid

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