Les carnets de Siegfried
Film hommage à un poète anglais tourmenté
Toutes les photos : © D.R
Il osa défier sa hiérarchie
Terence Davies, disparu le 7 octobre 2023, était un scénariste réalisateur que le quotidien anglais The Guardian classe dixième parmi les quarante meilleurs réalisateurs contemporains. À cause des difficultés pour financer ses films et son refus de tout compromis, ses réalisations paraissent sporadiques mais sont toujours d’une grande qualité. Comme le prouve son dernier film testament sur le poète Siegfried Sassoon qu’il mit cinq ans à réaliser. Il faut aussi préciser que le Centre Pompidou lui consacra une rétrospective intégrale sous le titre Le temps retrouvé du 1 eu 17 mars 2024.
L’histoire : En 1914, le jeune Siegfried Sassoon, poète en devenir, est enrôlé dans l’armée britannique. De retour du front, révolté par ce qu’il a vu, il devient objecteur de conscience. Ses pamphlets pacifistes lui valent une mise au ban par sa hiérarchie, mais aussi une forme de reconnaissance artistique, lui ouvrant les portes d’une vie mondaine active. Mais dans cette société du paraître, Siegfried se perd, tiraillé entre les diktats de la conformité (le mariage) et ses désirs de liberté.
Une personnalité très complexe mais honnête
Le réalisateur qui ne connaissait pas la vie du poète acheta trois biographies sur ce dernier. Siegfried Sassoon avait eu une vie très intense qui nécessitait de nombreuses pages d’écriture. Le réalisateur étudia tout avec attention. Il constata avoir de puissantes affinités avec le poète homosexuel, qui se convertit au catholicisme et se maria. Davies a toujours souligné l’importance des acteurs qui ont soutenu le film alors qu’il n’était qu’un projet et leur implication, en particulier Jack Lowden qui endosse le rôle principal avec ses multiples facettes. Le jeune Calam Lynch semble prendre plaisir à jouer le sulfureux Stephen Tennant, riche amant de Sassoon et grand ami du photographe Cecil Beaton.
Un destin et un courage hors du commun
Les réalisateurs anglais savent mettre en images leur passé. Cette éducation raffinée toute britannique est le reflet d’un art de vivre merveilleusement décrit dans la série Downtown Abbey ou Gosford Park, joyaux d’élégance aristocratique et cinématographique. Il faut désormais leur ajouter Les Carnets de Siegfried. Ce très beau film n’aborde pas seulement les dilemmes d’un homme face à sa sexualité. Il trace surtout le portrait d’un homme d’honneur récipiendaire de la Croix militaire pour son courage sur le front. Il osa défier sa hiérarchie en dénonçant la souffrance des troupes britanniques et refusa de reprendre du service en précisant que le gouvernement cautionne la poursuite de la guerre alors qu’il a le pouvoir d’y mettre fin. Aujourd’hui, il serait un lanceur d’alerte. À son époque, il était juste un objecteur de conscience courageux et honnête.
Les Carnets de Siegfried est un magnifique pamphlet pacifiste, antimilitariste et humaniste, réalisé par un cinéaste sensible et élégant, aujourd’hui disparu et regretté.
Christian CHARRAT
Les Carnets de Siegfried – De Terence Davies avec : Jack Lowden, Simon Russell Beale, Calam Lynch – 2h18 – Condor Productions
