loulou de la falaise
Touchée par la grâce,
cernée par la méchanceté !
Photo : Loulou et Yves Saint-Laurent© D.R
On les appelles des Muses...
Les gens qui travaillent dans l’industrie de la mode, qu’elle soit masculine ou féminine, sont toujours entourés d’hommes ou de femmes, beaux et élégants. On les appelle des Muses car ces personnalités inspirent au quotidien, les différents artistes et créateurs. La très élégante Inès de la Fressange, inspira des années durant, le couturier Karl Lagerfeld, Amanda Lear, le peintre Salvador Dali, Katharine Hepburn, le réalisateur Georges Cukor, etc.
Loulou de la Falaise, de son vrai nom, Louise Vava Lucia Henriette Bailly de la Falaise, est issue d’une famille aisée, très fantasque dont l’amour et l’affection étaient totalement exclus. Les femmes de la famille sont de vraies personnalités et toutes belles. À commencer par sa grand-mère, Lady Rhoda Birley qui s’habillait comme une gitane et qui avait fait exorciser sa maison où a l’exception d’elle, tout le monde se sentait mal. C’était la mère de la très belle Maxine qui fit changer son prénom en Maxime avec un m et qui, lorsque la Seconde Guerre toucha à sa fin, annonça à ses parents qu’elle rentrait chez eux, ils lui achetèrent aussitôt un billet pour les États-Unis, un aller simple…
Maxime vécut aux États-Unis où elle rencontra un français, Alain de la Falaise qui était comte mais n’avait plus d’argent et qui est le père de Loulou et d’Alexis. Maxime accoucha de Loulou, chez elle dans la baignoire alors qu’elle était en train de faire une traduction de mode. John Stefanidis, le grand décorateur anglais, dit que Maxime était si belle que les autres enfants avaient peur d’elle. Maxime jouait les mannequins mondains et faisait des relations publiques pour la couturière Elsa Schiaparelli, qui elle non plus, n’aimait pas ses enfants… Elle fut la première styliste à travailler en free-lance. Maxime disait de la couturière Elsa Schiaparelli, qu’elle ressemblait à un singe à qui on aurait retiré sa banane… Il est intéressant de savoir que la première styliste de mode fut Ghislaine de Polignac aux Galeries Lafayette, qui expliquait aux fabricants comment « dévulgariser » et donner du chic à leurs collections. Elle était la Nelly Rodi des années quarante.
Les parents de Loulou se sont séparés et ne sachant que faire de leurs deux enfants Loulou et Alexis, ils les placent dans une famille d’accueil à la campagne ou le couple abusa d’eux… Loulou a beaucoup souffert d’une enfance instable, sans affection sur le plan émotionnel. Elle était cernée par la méchanceté mais à l’inverse de certains, elle ne s’est jamais laissé contaminer…
Elle épouse un aristocrate anglais Desmond Fitzgerald, fils de Diana, l’une des célèbres sœurs Mitford (lire le livre de Annick Le Floc’hmoan, Ces extravagantes sœurs Mitford paru aux Éditions J’ai Lu). Desmond était assez ambivalent et pensait sans arrêt au sexe, ils furent mariés mais pour une courte période. Loulou s’ennuie fort dans son rôle de châtelaine.
Elle rencontra Yves Saint Laurent et Pierre Bergé chez Fernando Sanchez avec qui, bien qu’homosexuel, elle aura une liaison. Elle s’attira l’affection du grand Yves Saint Laurent, elle dû partager cette faveur avec Betty Catroux, figure du Tout-Paris qui séduit par son humour et elles devinrent très proches. Une exposition fut même dédiée à Tokyo récemment, à Betty Catroux. Loulou de la Falaise ne se contentait pas d’être charismatique et chic, elle avait du talent ! Un talent qui en plus de son allure, avait séduit le couturier qui lui confia la création des accessoires de ses collections et ce durant trente années. Ils partageaient aussi la même passion pour la mode, le sexe, les drogues et l’alcool… Elle était la légèreté, la gaieté, la simplicité dans ce studio de création figé dans ses codes avec un Yves Saint Laurent triste, dépressif et morose. Il était accro à l’alcool de menthe, Alyne de Broglie qui a travaillé longtemps au studio de création, le voyait souvent plié sur bureau avec la tête sur les bras, ravagé.
Photo de gauche à droite :
Photo n°1 : © The Madam FitzGerald – Loulou et ses parents monstrueusement égoïstes
Photo n°2 : © The Madam FitzGerald – Desmond FitzGerald et sa mère, « The Knightmère », Veronica Milner ; l’historien de l’architecture Maurice Craig et Garech de Brún, dont la mère, Oonagh, était l’une des trois « Golden Guinness Girls » ;
la seule photographie connue de Maxime, Rhoda et Loulou, prise au bal des mariés de Loulou et Desmond. Le bal eut lieu dans l’ancien studio d’Oswald Birley au 62, Wellington Road, St John’s Wood, Londres.
Le Chic Absolu
Loulou avait une voix de fumeuse et elle la prêta à Malcolm McLaren pour son (superbe) album Paris et au titre Jazz is Paris. Elle murmure ses réflexions sur la beauté au masculin. Il est vrai qu’elle entretenait une liaison avec le sublime acteur Hiram Keller, surnommé « The Face » tant sa beauté était spectaculaire. Il fut le héros très sensuel du décadent mais génial, film de Federico Fellini, Le Satyricon. Il était aussi l’amant du danseur étoile Rudolf Noureev.
L’allure de Loulou était immortalisée dans les pages de tous les magazines de mode et dans le monde. Elle était, tout comme l’illustratrice de mode, Mouchy ou le top model ; Inès de la Fressange, l’incarnation du Chic Absolu avec des majuscules. Elles sont rares ces femmes qui par le plus petit détail de leur tenue, captent le regard et que dire des gestes gracieux qui complètent leur aura et séduisent instinctivement l’assistance. Elle déplorait à la fin de sa vie, que l’industrie de la mode soit passée dans les mains de financiers qui remplacent les stylistes par des « robots ».
Il faut aussi lire le livre de son mari, Thadée Klossowski de Rola, fils du peintre Balthus : Vie rêvée paru aux Éditions Grasset. Il évoque son quotidien de dilettante blasé et gâté qui ne fait rien mais aussi ses relations avec celle qui deviendra sa femme et qui elle, travaillait beaucoup.
Il y eut un film (très réussi) de Bertrand Bonello Saint Laurent avec Gaspard Ulliel, qui bien que d’une évidente virilité au naturel, se transforme en homosexuel fragile et névrosé. Il n’incarne pas Yves Saint Laurent, il est Yves Saint Laurent ! Il n’en va pas de même pour le rôle de Loulou car Léa Seydoux n’a pas l’ambiguïté, l’androgynie et le charisme de la vraie Loulou. C’est le seul point faible de ce film très abouti qui déplut fort à Pierre Bergé.
Il était évident que cette femme exceptionnelle aurait un jour, droit à une (belle) biographie et c’est ce qu’a fait le journaliste Christopher Petkanas, sous le titre Loulou & Yves paru aux Éditions Séguier. Christopher Petkanas travailla de 1982 à 1989 pour Mr.John Fairchild, la terreur des gens de la mode bien avant Anna Wintour… John Fairchild régnait sur les deux magazines prestigieux pour lesquels Christopher Petkanas travaillait : Women’s Wear Daily et le W. Les relations à un moment, furent très tendues entre la maison Yves Saint Laurent, Pierre Bergé et John Fairchild. Mais tout s’arrange car dans la mode on ne peut avoir d’ennemis trop longtemps, en tous cas dans le travail…
Ce livre consacré à Loulou de la Falaise est bourré d’anecdotes d’une méchanceté rare sur une élite très décadente. Il comporte des témoignages de grandes figures de leur époque : Andy Warhol, Karl Lagerfeld, Mick Jagger, Patti Smith, Diana Vreeland, Marianne Faithfull, la liste est longue et non exhaustive. Ce livre que l’on peut qualifier de « Livre Choral », est fort bien animé par des photos et des illustrations qui font ressortir pas uniquement la beauté de cette femme mais son étonnante personnalité. Elle disparut le 5 novembre 2011, à l’âge de 64 ans des suites d’un cancer du foie et du pancréas, laissant place à la légende.
Un livre IN-DIS-PEN-SA-BLE à toutes les fashion-victims éprises de beauté et d’élégance. Cet ouvrage, est aussi addictif qu’une drogue mais nettement moins dangereux…
C.C
Loulou & Yves de Christopher Petkanas -Éditions Séguier – 400 pages – 39 € – Seguier.fr
Photo de gauche à droite :
Photo n°1 : © Fernando Sanchez, Yves, Loulou et Pierre Bergé dessinés par Fernando, Marrakech, 1975. Fernando acheta la première maison d’Yves et Pierre dans la ville, Dar el-Hanch, lorsqu’ils déménagèrent à Dar es Saada.
Photo n°2 : © Collection Christopher Petkanas – Hiver 1982, année où l’auteur commence à couvrir Saint-Laurent, Yves dessinait Loulou même quand il ne savait pas qu’il la dessinait.