MARIE-BLANCHE DE POLIGNAC

Il fut un temps où être une égérie était synonyme de muse. La très élégante et racée, Inès de la Fressange inspira le talentueux Karl Lagerfeld durant quelques années.  Loulou de la Falaise et Betty Catroux, inspirèrent le couturier Yves Saint Laurent tout au long de sa vie. Avant elles, il y eut la fille de la couturière Jeanne Lanvin, Marguerite Marie-Blanche, que sa mère surnommait affectueusement Ririte.  Le père de Marguerite était un usurpateur qui se prétendait « comte ». Émile di Pietro cherchait fortune dans les salons mondains. Il épousa ainsi Jeanne Lanvin mais le couple se sépara assez rapidement. En 1893, au sommet de la réussite, la couturière ouvrit sa maison au 22 rue du Faubourg Saint Honoré à Paris. La maison de couture qui emploie jusqu’à mille ouvrières est toujours située à la même adresse.  À l’inverse de sa rivale Coco Chanel, elle détestait la publicité autour de sa vie privée mais l’utilisait pour sa maison de couture.  Elle dessinait des vêtements pour sa fille qui elle, aurait préféré être habillée plus simplement comme ses compagnes de jeu.  Inspirée par Ririte, sa mère lanca d’ailleurs un département enfants en 1908. 

Jeanne Lanvin était possessive, non contente d’habiller sa fille, elle voulait que celle-ci ne dépende d’aucun homme. Lui donnant une éducation d’élite, et Marguerite abandonna son prénom au profit de Marie-Blanche, plus élégant à ses yeux. Elle devint au fil des ans une musicienne accomplie et une soprano appréciée. À l’inverse de sa mère, Marie-Blanche était d’une grande beauté. 

Souhaitant échapper à l’amour maternel trop envahissant, elle épousa en pleine première guerre mondiale, René Jacquemaire Clémenceau, le petit-fils de celui que l’on surnomme Le Tigre, Georges Clémenceau, célèbre homme politique français. Son mari, héros de guerre, devint docteur. Il mourra à 37 ans des suites d’une blessure contractée en opérant un de ses patients. Leur mariage ne fut pas très heureux.  La vie lui offrit une seconde chance en mettant sur son chemin le comte Jean de Polignac appartenant à la célèbre et puissante famille. Les Polignac étaient aussi princes régnants de Monaco.  Marie-Blanche trouva enfin le grand amour auprès du comte. Adoptée par la famille de son mari, dont la redoutable princesse Edmond de Polignac née Winnareta Singer. Le père de cette dernière, Isaac Merritt Singer avait déposé le brevet qui permettait de perfectionner le mécanisme de la machine à coudre.  Héritière richissime, elle filait le parfait amour avec Violet Trefusis, membre de la haute société britannique, alors que son mari préfèrait les messieurs.  Ils n’étaient pas le seul couple en vue pour lequel le mariage était une façade, on pouvait aussi nommer les Noailles… Le vicomte Charles de Noailles est surpris au lit par son épouse Anna, avec un homme, mais ils restent mariés.

Habillée par sa mère, Marie-Blanche ne se contente pas d’être de toutes les manifestations mondaines, elle remporte un franc succès pour son élégance. Elle ouvre son salon de la rue Barbet-de -Jouy aux artistes en tous genres allant de Christian Bérard, Jean Cocteau, Jean Giraudoux, Francis Poulenc, Paul Morand, la liste est longue… On lui soumet une partition ou un manuscrit, elle conseille, aide, encourage que ce soit à Paris, dans sa propriété en Bretagne ou sur la Côte d’Azur. Elle rejoint l’ensemble vocal de Nadia Boulanger avec lequel elle est internationalement acclamée. Il existe d’ailleurs un enregistrement de Lamento della Ninfa de Monteverdi où elle fait un triomphe.  Elle est une muse au goût très sûr mais elle ne sera jamais un mécène au sens propre du terme. Cette femme inspirante et aimée, qui d’après ses amis, n’était pas faite pour le malheur, décède le 14 février 1958 à l’âge de soixante ans. 

Voilà ce qu’était à une certaine époque, une véritable égérie…

Sylvie di MEO

Marie-Blanche de Polignac- la dernière égérie – de David Gaillardon – Éditions Tallandier – 496 pages – 23,90 € – tallandier.com