William Christie
Un prince en son domaine
Photo © Julien Gazeau
Un goût éclectique mais sûr
Ils ne sont pas très nombreux hélas, mais lorsque l’on rencontre un esthète, c’est un privilège et un bonheur inestimable. William Christie, Maestro à la renommée mondiale à la tête des Arts Florissants, fait partie de ces personnalités d’exception. Chaque année, il ouvre au public les portes de son domaine à Thiré, en Vendée, lors de son festival annuel « Dans les jardins de William Christie » ou à l’occasion des Journée européennes du patrimoine.
Immersion dans un monde enchanteur
Dans ces jardins somptueux, créés de toutes pièces par Christie lui-même, on s’attendrait presque à croiser le prince de Salina, héros du roman Le Guépard, accompagné du séduisant Tancrède, ou encore Luchino Visconti, le réalisateur du film éponyme. Ces jardins évoquent un univers d’une élégance absolue, où l’on imagine aisément les conversations feutrées de Marie-Antoinette et du comte de Fersen.
Le visiteur est transporté dans un ailleurs paisible et majestueux, où chaque détail flatte le regard. Le domaine, qui s’est épanoui au fil de longues années de travail depuis 1985, représente le havre de paix du musicien, son refuge, un lieu qui l’inspire et qu’il offre à son public avec générosité. C’est son langage visuel, un autre moyen d’expression à travers les plantes, les fleurs et l’architecture. Il bâti ainsi son propre monde. Aujourd’hui reconnu « Jardin remarquable » et inscrit à l’Inventaire des Monuments historiques, ce lieu exceptionnel de 12 hectares figure au centre du projet des Arts Florissants.
Une enfance protégée
Les débuts furent pourtant difficiles. Comme l’évoque Emmanuel Resche-Caserta dans son ouvrage Cultiver l’émotion (Éditions Actes Sud). Le Maestro a dû affronter le regard suspicieux des habitants du village, peu habitués à voir arriver un américain, musicien, homosexuel, et aisé de surcroit. Comme il le souligne intelligemment, la France a un rapport très ambigu à la réussite. Elle attire les jalousies à l’inverse des États-Unis où l’on respecte la fortune, synonyme de challenge, de remise en cause de soi, de booster qui permet d’avancer.
Issu d’une famille unie, cultivée et privilégiée, le jeune William grandit entouré d’un père homme d’affaires brillant et d’une mère musicienne et mécène. Cette dernière lui transmet son amour de la musique et du jardinage.
Elle lui donne d’ailleurs ses premiers cours de clavier dès l’âge de cinq ans. Ses parents croient fortement en lui, bien qu’il soit différent des autres enfants. Avec ce soutien sans faille et ce talent hors du commun, la différence devient une force, une arme redoutable qui permet les plus belles réalisations. L’art de la musique, les jardins et la demeure de Thiré en sont les témoignages évidents.
Une demeure d’art et d’histoire
Son intérieur, richement meublé, est à l’image de son goût éclectique. De nombreux meubles ont été rapatriés des États-Unis. L’œil est immédiatement attiré par les plafonds peints, les tapisseries somptueuses et les collections de porcelaines bleu et blanc qui ornent les différentes pièces. Dans le grand salon, un clavecin magnifiquement décoré trône, entouré de nombreux tableaux et portraits. William Christie, qui se passionne pour la peinture, avoue aimer Jackson Pollock et Joan Mitchell, mais c’est surtout l’école italienne, notamment Le Caravage, qui le fascine (lire le beau livre sur Le Caravage de Roberto Longhi paru aux Éditions du Regard). Son admiration va également aux maîtres français du XVIIe siècle, tels que Poussin, Stella, Bourdon et Simon Vouet.
Des cheminées imposantes sont présentes dans de nombreuses pièces et servent aussi de support à de beaux objets. Au-dessus de chaque porte figure une citation en latin ayant une signification pour le Maestro. Sa bibliothèque, abondamment fournie, est un véritable sanctuaire pour les amateurs de lecture et n’a rien d’une simple décoration. Elle évoque en certains points celle du château de Groussay, propriété de Charles de Beisteguie -autre esthète- bien que plus modeste en hauteur sous plafond.
Fervent défenseur du respect du temps, William Christie a fait régler le carillon de son jardin pour qu’il sonne une minute avant les cloches de l’église du village, rappelant que « l’exactitude est la politesse des rois. »
L’intérieur de la demeure évoque le XVIIème siècle et ses splendeurs, nul doute qu’il aurait plu au duc de Saint-Simon et à la princesse Palatine au cours d’une halte.
William Christie aime faire la cuisine et recevoir, il se définit d’ailleurs comme humaniste. Le mot s’affiche même sur un mur d’un côté de la cheminée.
Pour lui, il s’agit d’exalter les potentialités humaines, de viser des objectifs au-delà des limites du possible. Le domaine de Thiré est l’incarnation de cette vision, un témoignage vibrant de ce que l’homme peut accomplir quand il conjugue passion, talent et persévérance.
Christian CHARRAT
Cultiver l’émotion de William Christie- Entretiens avec Emmanuel Resche- Caserta – Éditions Actes-Sud – 144 pages – 20 € – actessud.fr
Les jardins de William Christie – 32 rue du Bâtiment 85210 Thiré – arts-florissants.org