Yves Navarre
Journal
L'amitié, seule forme d'amour...
À l’instar du peintre et cinéaste Andy Warhol, Yves Navarre, lauréat du Prix Goncourt en 1980 pour Le Jardin d’acclimatation, tenait un journal. Lequel est aujourd’hui publié par les Éditions Séguier, accompagné d’une passionnante biographie signée Frédéric Andrau. Ce livre offre un nouvel éclairage sur un auteur qui, après des années de travail acharné, reçoit enfin la reconnaissance qu’il mérite en tant qu’écrivain, dramaturge et dialoguiste. Bien que la carrière de Navarre soit étroitement liée aux années 1970 et 1980, les jeunes générations auraient tout intérêt à découvrir son œuvre avant-gardiste, dérangeante parfois, intimiste et empreinte de sincérité…
Un défenseur audacieux des droits LGBT
Ceux qui connaissent Yves Navarre, notamment parmi les générations plus âgées, se souviennent de lui comme l’une des premières figures publiques à avoir ouvertement reconnu son homosexualité. Il a même été le représentant de la communauté LGBT auprès du président François Mitterrand. Malgré son enfance au sein d’une famille aisée, la relation de Navarre avec son père autoritaire et souvent absent est marquée par des tensions, au point que ce dernier envisage de le faire lobotomiser pour le « guérir » de ses « déviances sexuelles. » Après avoir obtenu son diplôme de l’EDHEC, Navarre est envoyé en coopération au Sénégal pour effectuer son service militaire, où il complète ses revenus en chantant dans des boîtes de nuit. Finalement réformé en raison de son homosexualité, il travaille par la suite comme concepteur rédacteur dans la publicité, et recrute des personnalités notables comme Thierry Ardisson. On dit de lui qu’il est caractériel mais qui dans l’univers de la mode ou de la création ne l’est pas?
Une figure littéraire et mondaine
Il doit à Paul Otchakovsky-Laurens, fondateur de la maison d’éditions POL, la publication de son roman Lady Black. Jean-Louis Bory, critique brillant et flamboyant, lui aussi homosexuel, décrit son écriture comme « exhibitioniste, farouche, grimaçante, amère, scandaleuse et délibérément provocante. »
La création par Navarre du SELF, le premier syndicat des écrivains, lui vaut des ennemis mais affirme son statut d’activiste littéraire.
Son cercle social inclut des intellectuels emblématiques comme Marguerite Duras, Françoise Sagan et Roland Barthes. Il évolue également dans les milieux de la mode, fréquentant des couturiers tels que Pierre Cardin, Paco Rabanne ou Guy Laroche. Cependant, c’est avec le couturier Emmanuel Ungaro que la connexion est la plus grande, ce dernier lui disant : « Pratiquons la seule forme d’amour qui ait de l’avenir : l’amitié. »
L’insupportable solitude
Victime d’un accident vasculaire cérébral, il se trouve confronté à la maladie et à l’ingratitude du monde parisien. Hanté par la solitude dont il souffre profondément depuis des années, l’écrivain s’installe incognito au Canada.
Ce séjour ne fait qu’amplifier son sentiment d’isolement. Désillusionné par cette expérience, il revient en France dans un état de santé précaire, sans argent et psychologiquement fragile. Le 24 janvier 1994, Yves Navarre met fin à ses jours en prenant une overdose de médicaments et en se couvrant la tête d’un sac pour accélérer sa mort. Son corps est découvert dans un état effroyable, laissant planer cette question tragique : avait-il enfin trouvé la paix et la compagnie qui lui avaient tant manqué ?
« Et si je parle, en te tutoyant, comme si tu étais là, à m’écouter, c’est parce que dans le secret des pages, le silence des signes, et au détour des phrases, je souhaite que tu aimes comme j’ai aimé, que tu vives comme j’ai vécu et que tu t’interroges comme je m’interroge encore. » (Le Temps voulu, 1979).
Sylvie di MEO
Yves Navarre – Journal – précédé d’une biographie de Fréderic Andrau – Éditions Séguier – 512 pages – 29 € – editions-seguier.fr