À cœurs perdus
Voyage en Enfer

Des proxénètes eux aussi mineurs
À la rédaction, nous avons décidé de sortir de notre zone de confort et d’aborder certains faits de société. Nous nous sommes procurés le livre de Nadège Hubert et de Claude Ardid sur ce fléau qu’est la prostitution des mineurs.
Il faut savoir comme le précise les auteurs qu’en seulement cinq ans ce phénomène a progressé de 70 %. C’est affligeant et cela démontre l’inertie des pouvoirs publics et des politiques ! Comment expliquer de tels chiffres ? Les raisons sont la télé-réalité, marchandisation des corps, accès facile aux films pornographiques, explosion des réseaux sociaux… Tous ont contribué à une fabrique de futures filles (il y aussi des garçons) corvéables à merci pour correspondre à certaines normes véhiculées par notre société.
Des informations terrifiantes
Internet concerne plus de 60% des cas de prostitution des mineurs. Agnès Rostoker, cheffe du Parquet mineurs de Marseille et de sa grande métropole, nous apprend que plus de la moitié des centres d’accueil sont des centres de recrutement de prostituées toutes mineurs. Compte tenu des sommes colossales que représente la prostitution à Marseille, il y aura aussi des règlements de comptes dans ce milieu tout comme dans le narcotrafic.
Une jeune fille confesse qu’en vendant son corps avec deux copines, elles avaient le sentiment de gagner une forme d’identité. Le réseau dont elles faisaient partie les valorisent, aussi surprenant que cela puisse paraître. Le pire est que beaucoup tombent sous la coupe de proxénètes qui sont aussi mineurs. Des prostituées quasi débutantes, qui n’ont que quatorze ans, vont se transformer en proxénètes sans scrupules. La drogue (crack, coke, etc.) circule et les « aide » à assumer cette vie et les fantasmes des clients.
Une prostituée de 12 ans !
Le 21 mars 2024, trois proxénètes de dix-huit à vingt ans à peine sortis de l’adolescence, sont jugés pour proxénétisme impliquant des mineurs dont une de douze ans ! Comparaissent des clients de tous milieux : employé, expert-comptable, commercial, technicien, ambulancier, community manager. Très peu ont le réflexe d’appeler la police ou de partir en découvrant la gamine qui malgré le maquillage n’a pas le corps d’une femme. Tous semblent ignorer la loi, prisonniers de leurs pulsions.
Un système très bien huilé
On peut lire aussi le témoignage de jeunes filles contraintes de se prostituer et qui vont enchaîner les passes pendant six jours, entre huit heures et deux heures du matin avec souvent des hommes mariés. D’après leurs propres mots, elles ne sont plus que des tas de viande… Leurs jeunes proxénètes, les prennent en photo, mettent celles-ci sur des sites spécialisés. Les proxénètes louent des logements sur airbnb et obligent les filles à changer régulièrement de ville afin que les proxénètes ne soient pas identifiés par la police. Une antenne de la police a d’ailleurs réussi à faire fermer coco.fr, site spécialisé dans la prostitution des mineurs.
Ce livre est passionnant dans l’insupportable car le travail des deux journalistes est impeccable. Tout est étayé par des faits et des chiffres. C’est toutefois une avocate qui conclue ce terrible sujet : « Elles pensent qu’elles ont le pouvoir. Le pouvoir, c’est l’argent. Elles n’ont rien d’autre que le statut de victimes. »
Christian CHARRAT
À cœurs perdus de Nadège Hubert et Claude Ardid – Mareuil Éditions – 382 pages 21 € – mareuil-editions.com