EVERETT RUESS, VAGABOND DE LA BEAUTÉ
Il s'élance seul à 16 ans,
à la découverte de la côte californienne

Un aventurier extraverti et courageux
Les éditions Folio ont eu la bonne idée de nous séduire avec la vie étonnante d’Everett Ruess.
En 1930, le jeune Everett, seize ans, s’élance seul, équipé d’un sac à dos, le long de la côte californienne. Pendant son voyage, il écrit, peint, s’abreuve des beautés de la nature. Ce périple sera le premier d’une longue série d’explorations qui le conduiront des paysages désertiques de l’Arizona aux canyons rouges de l’Utah, jusqu’à ce qu’il disparaisse mystérieusement en 1934. Seules nous sont parvenues des pages de son journal et des lettres envoyées à ses proches qui restituent avec une poésie et une puissance rares un grand Ouest américain sauvage et grandiose.
Une famille profondément soudée
Cet artiste, poète et explorateur américain est un homme très complexe, parcouru de motivations aussi nombreuses que dévorantes. D’après sa correspondance, il se sent incompris. Sa famille, pourtant très soudée, lui envoie régulièrement de l’argent, mais accepte, et cela surprend, qu’un adolescent, agnostique doutant de son talent de peintre et d’écrivain, parte seul pour de telles expéditions. Il est vrai que sa mère est une artiste passionnée d’art. Elle a étudié l’impression sur blocs de bois ou plaques linoléum à l’université de Columbia et aime composer des poèmes. Sa famille est à ses yeux une institution artistique. Le père est brillant après un cursus à Harvard en trois ans seulement. Il a été entre autres, pasteur unitarien, actif même après sa retraite en 1949. Il se consacre à l’American Institute of Family Relations pour aider des personnes plus âgées à trouver des objectifs constructifs. Il s’intéresse surtout aux grandes questions philosophiques et morales. Everett et lui échangent régulièrement sur la philosophie de la vie. Son frère Waldo de quatre ans son aîné, est un soutien moral et financier.
Des expéditions dangereuses
Sa mère, si soucieuse de voir son fils devenir un bon artiste, ne voit pas la nécessité de le retenir. Elle le laisse partir, voir elle l’exhorte. À l’âge de seize ans, à l’été 1930, il quitte le foyer familial de Los Angeles pour effectuer son premier grand voyage en solitaire. Le jeune homme narre par courrier ses aventures aussi fascinantes que dangereuses. Il s’enlise dans les sables mouvants avec son âne, fait une chute de 8 mètres d’une crête en lame de couteau, tue nombre de serpents à sonnette et recueille pour seule compagnie un petit chien. Il se sent mal en ville et dénonce le rôle corrupteur de l’argent. La beauté de la nature qu’il glorifie dans ses courriers lui manque et il ressent le besoin de partir de nouveau avec ses pinceaux et crayons mais aussi un fusil. Il a cette fois pour compagnons, deux ânes qu’il achète pour porter son barda, et leur donne des noms amusants. Pour survivre, il vend ses dessins ou aquarelles et effectue des travaux manuels au fil des rencontres. Il souffre d’un empoisonnement au toxicodendron, manque de mourir mais n’informe pas sa famille. Il lit beaucoup et demande à son père de lui envoyer de l’argent pour acheter des livres. Il aime passionnément la musique classique mais souffre de solitude. Certes, il partage parfois des expériences très intimes (garçons ou filles ?). Il côtoie des indiens navajos et apprend leur langue.
Un vagabond de la beauté qui disparait à vingt ans
En novembre 1934, le silence s’installe. Sa famille n’a plus de nouvelles. Des recherches sont entreprises. On retrouve juste ses deux ânes mais sans aucune trace de lui, ni de ses effets personnels. Le mystère reste entier à ce jour. À la lecture passionnante de sa correspondance fort bien écrite et emplie de poésie, on peut le définir comme un visionnaire introverti, hypersensible, associé à un aventurier extraverti et courageux. Il a le goût des autres et se lie facilement aux gens qu’ils rencontrent au fil de ses expéditions mais n’y trouve pas la correspondance avec son exigence de la beauté et de la culture.
Un livre qui méritait de voir le jour et une personnalité attachante à découvrir.
Christian CHARRAT
Vagabond de la beauté de Everett Ruees – 464 pages – 10 € – folio-lesite.fr